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Dans mon chapeau...
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16 mars 2009

Réalisme social

"Eux" de Joyce Carol Oates41JKGqNMuyL__SL160_AA115_
4 étoiles

Points/Signatures, 2008, 650 pages, isbn 9782757809440

(traduit de l’Anglais par Francis Ledoux)

"Eux", ce sont Maureen et Jules Wendall, toute leur tribu, leurs parents, Loretta et Howard, leur petite sœur Betty, et le monde où ils vivent, celui des blancs pauvres dans la Detroit des années 1930 encore marquées par la Grande Dépression jusqu’aux années 1960. C’est leur histoire que Joyce Carol Oates a entrepris de raconter dans ce livre, couronné par le National Book Award en 1970, et que l’on peut encore considérer, toutes proportions gardées, comme une de ses œuvres de jeunesse.

Et très vite, le doute s’insinue, lancinant, face à ce roman où les choses ne semblent jamais rentrer dans l’ordre, ou rien ne prend jamais sens. Face à la longue litanie des déboires qui frappent cette famille "ordinaire" (?), l’on se dit que tout cela ne peut pas être vrai : la longue série des déveines, guignes, brutalités, maladies, méfaits de l’alcool ou pure et simple bêtise qui fait illico replonger celui qui semblait un tant soit peu commencer à se sortir de sa misère. Quand ce n’est pas tout simplement, ainsi que le note Jules, "son statut de fils, de frère" qui en fait "un être entraîné vers le fond de la rivière par les chaînes du sang et de l’amour" (p. 285).

Mais pourtant, Joyce Carol Oates avait averti son lecteur d’entrée de jeu : tout est vrai, et cette histoire est celle d’une de ses anciennes étudiantes en cours du soir à l’université de Detroit, avec laquelle elle avait repris contact quelques années plus tard et entretenu une correspondance qui lui avait fourni les matériaux de ce gros roman touffu. Et c’est lorsque le déroulement du récit atteint l’instant précis de cet échange de lettres entre Maureen Wendall et son ancien professeur devenue écrivain que l’on commence à comprendre le projet poursuivi à travers l’écriture de "Eux". Au moment où l’héroïne prend l’auteur à parti en rejetant en bloc les arrangements de la littérature, l’ordre et la forme que celle-ci  impose aux faits et que la réalité réfute, l’on comprend enfin que Joyce Carol Oates a tenté ici de relever le défi et d’écrire un roman qui restitue le désordre du monde. Son pari est d’ailleurs réussi. Et c’est en cela, surtout, que "Eux" est un grand roman réaliste dont la lecture se révèle une expérience passionnante. Même si elle se fait aussi pesante et cela dans tous les sens du terme : par l’atmosphère plombée qui imprègne ce livre d’un bout à l’autre et parce qu’avec ses 650 pages bien tassées, l’édition de poche de la collection Points/Signatures ne rentre plus vraiment dans la catégorie des livres maniables que l’on peut facilement glisser dans son sac et emporter partout avec soi…

Extrait :

"Vous avez dit : « La littérature donne forme à la vie », je me rappelle que vous avez dit cela très clairement. Qu’est-ce que la forme ? Pourquoi est-ce mieux que la façon dont la vie se présente toute seule ? Je déteste tout cela, tous ces mensonges, tant de mots dans tous ces livres. Ce que j’aime lire dans cette bibliothèque, ce sont les journaux. Je veux savoir. Le vieux lit un journal, et l’homme au nez qui coule aussi. Comme moi, ils veulent découvrir ce qui se passe, ce qui est réel. Ils n’ont pas de temps dans leur vie pour les choses fabriquées. Mais je me rappelle que vous avez dit cela de la forme." (p. 435)

Un autre livre de Joyce Carol Oates, dans mon chapeau: "Nous étions les Mulvaney"

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Commentaires
F
Oui, je suis d'accord... Et "Nous étions les Mulvaney", qui traîne depuis un moment sur mon bureau, en l'attente d'un billet, m'a fait la même forte impression: c'est magistral, passionnant mais surtout très dur émotionnellement parlant, au point qu'on peut éprouver le besoin à certains moments de le reposer et d'attendre que les impressions les plus fortes s'estompent, avant de le reprendre...
L
Encore une lecture en commun. Ce roman est pour moi magistral, et ce même si il est difficile à lire, non par le style, très accessible et brillant, mais par la dureté du propos dont on se demande jusqu'où elle ira... jusqu'au bout, jusqu'à la réalité! J'en garde un grand souvenir comme un roman réaliste sur les Etats-Unis loin des paillettes et des jolies coiffures des séries télévisées.
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