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Dans mon chapeau...
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11 mai 2011

L'eau à la bouche

18369077_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20031203_043650"Chère Martha" de Sandra Nettelbeck,
avec Martina Gedeck et Sergio Castellitto

Nous plongeant dans les états d'âme d'une jeune chef-cuisinière d'un restaurant de Hambourg qui ne vit que pour son art et dont le train-train se trouve bouleversé suite à la mort soudaine de sa soeur, lorsqu'elle doit prendre soin de la fille de cette dernière, Lina, huit ans, "Chère Martha" a tout naturellement trouvé sa place dans le cadre d'une soirée thématique d'Arte, consacrée ce dimanche à la nourriture. Car c'est la nourriture, bien plus que l'intrigue sentimentale, qui était au coeur de ce joli film: la nourriture, les soins infinis et la passion que Martha ou son collègue Mario mettent à la préparer, la mémoire familiale qui s'y dissimule, et tout ce qu'elle révèle de la relation de Martha et de sa nièce.

Le décor portuaire de Hambourg en arrière-plan, la bande-son minimaliste (voyez Arvo Pärt et Cie) et l'interprétation très sobre de Martina Gedeck (la magnifique Christa-Maria Sieland de "La vie des autres") et de Sergio Castellitto, campant deux héros très ordinaires et donc humains, achèvent de faire de "Chère Martha" un film touchant et savoureux parce que réaliste et vrai. Autant de qualités que la comparaison avec le remake hollywoodien qui en a découlé - "Le goût de la vie" de Scott Hicks avec Catherine Zeta-Jones et Aaron Eckhart, film bien plus convenu et par là-même insipide, un comble! - ne rend que plus appréciables.

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8 mai 2011

Dans les gestes les plus simples

"Le coeur régulier" d’Olivier Adam41hFT7hMOYL__SL500_AA300_
4 étoiles

Editions de l’Olivier, 2010, 233 pages, isbn 9782879297460

Selon les normes en vigueur dans son milieu, Sarah mène une vie idéale: un bon travail, un mari qui poursuit lui aussi une belle carrière, une maison agréable (mais pour qui ?) et deux enfants étudiant dans une école bien cotée. Mais suite à la mort soudaine de Nathan, son frère empêcheur de tourner en rond, éternel réfractaire au système, dont la voiture est allée s’encastrer dans un arbre – accident ou suicide ? -, il lui devient tout à coup impossible de continuer à tricher, impossible de se cacher plus longtemps que cette vie n’est pas  - n’a jamais été – ce qu’elle voulait: "Dans ces moments, je voyais combien j’étais apte à la dérive, je voyais se matérialiser sous mes yeux le réseau serré de fils que j’avais tissé pour me tenir à la surface, la succession de tâches professionnelles, sociales, amoureuses, domestiques qui me donnaient une contenance, un emploi, oui je voyais clairement l’ampleur de la construction, la grossièreté de l’artifice, la part de la comédie." (p. 28) Partant de cette prise de conscience, "Le coeur régulier" est le récit de la quête de Sarah pour renouer tout à la fois, et fut-ce a posteriori, les liens distendus avec son frère, et les fils de sa propre vie, une quête qui l’entraînera - abandonnant sans guère d'états d'âme mari et enfants - jusqu’au Japon où Nathan avait longuement séjourné dans un petit village, niché au pied de falaises bien connues des aspirants au suicide.

Il y a certes un paradoxe dans le fait que Sarah, qui s’est prise au piège des normes d’un milieu où la réussite se juge selon des critères financiers et superficiels, trouve un refuge temporaire en un lieu et dans une société où les diktats de l’économie de marché se font encore plus prégnants qu’ailleurs, acculant au suicide de trop nombreux travailleurs, épuisés, dégoûtés ou tout simplement remerciés par leur entreprise. Pourtant c’est là que se cache peut-être la plus grande réussite du "Coeur régulier": dans l’évolution d’une héroïne que sa rancoeur, ses récriminations et son égoïsme rendent dans un premier temps parfaitement déplaisante, voire même imbuvable aux yeux du lecteur – on peine d’ailleurs à comprendre comment elle a pu s’enferrer si longtemps, si loin, si profond, dans une vie si contraire à ses aspirations, et comment elle trouve encore le moyen d’en rejeter la faute sur son entourage! – renouant insensiblement avec une vie plus pleine.

Et c’est qu’il a fallu à l’auteur déployer beaucoup de finesse et de sensibilité pour rendre un si juste compte du miracle opéré par le contact avec un Japon qui, se libérant lentement d’une imagerie de cartes postales, s’ancre dans les gestes, les sensations et les saveurs les plus simples d’un quotidien où l’essentiel garde toute sa place: "J’ignore pourquoi ce lieu, la répétition de ces gestes, l’eau sortant du tuyau de bambou et courant sur mes paumes et mes poignets, l’odeur de cèdre brûlé m’apaisent à ce point. Mais j’aime qu’ici l’on chérisse ses morts en plein coeur de la vie, qu’à tout instant l’on interrompe le cours des choses pour se recentrer sur l’essentiel, ses souhaits les plus profonds, le sens de ses actes, l’amour qu’on porte à ses proches, sa famille, ses amis." (pp. 40-41)

Extrait:

"Alors, je faisais demi-tour, pressais le pas sur le bitume lissé, les odeurs de fleurs pourrissantes m’enveloppaient et me tournaient la tête. Je refermais la porte derrière moi, la gorge serrée, mon coeur battait vite, je m’étais sauvée de rien. La maison m’avalait, ses teintes douces et mornes, sa lumière fade, sa décoration sans âme parce que Alain n’aimait pas la fantaisie, ses baies vitrées sans croisillons parce que Alain voulait de la lumière, ses meubles design parce que Alain n’aimait pas les vieilleries, ses pièces rangées parce que Alain ne supportait pas le désordre, son bourdonnement électrique parce que Alain raffolait des dernières nouveautés technologiques, son absence de livres parce que Alain ne voyait pas l’intérêt de les garder une fois lus, parce que nous ne lisions pas « faute de temps », son absence de disques parce que Alain n’aimait pas particulièrement la musique et s’en vantait presque, « j’aime un peu de tout, disait-il, j’écoute ce qui passe », tout ce raffinement, ce dépouillement froid m’étranglaient." (pp. 27-28)

D'autres livres d'Olivier Adam sont présentés sur Lecture/Ecriture.

7 mai 2011

Naissance de l'écriture (2)

"J'ai parlé avec eux, Kathryn. Ils voulaient que je leur parle des alphabets antiques. Nous avons discuté de l'évolution des lettres. La forme de l'homme en prière du Sinaï. Le pictogramme du boeuf. Aleph, alpha. Partant de la nature, comprenez-vous. Le boeuf, la maison, le chameau, la paume de la main, l'eau, le poisson. Du monde extérieur. Ce que voyait l'homme, les choses les plus simples. Les objets quotidiens, les animaux, les parties du corps. Cela m'intéresse, la manière dont ces marques, ces signes qui nous apparaissent si purs et abstraits, ont commencé comme des objets existants, des choses vivantes dans bien des cas."

Don DeLillo, "Les noms", Actes Sud/Babel, 2008, pp. 163-164 (traduit de l'Anglais par Marianne Véron)

"Naissance de l'écriture (1)"

6 mai 2011

A lire attentivement

"Rétrospective Luc Tuymans",
Palais des Beaux-Arts, Bruxelles,
Jusqu'au 8 mai 2011

L'adage l'affirme: "Nul n'est prophète en son pays". Et Luc Tuymans, né en 1958 à Mortsel, dans la région d'Anvers, en a fait l'expérience. Peintre figuratif en un temps où la mode était plutôt à l'abstraction, il a trouvé la reconnaissance aux Etats-Unis ou au Japon, bien avant de retenir l'attention des musées de son pays natal. Mais cette époque est bien révolue, ce dont témoigne la rétrospective que lui consacre en ce moment le palais des Beaux-Arts de Bruxelles, en collaboration avec plusieurs grands musées américains.

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Luc Tuymans, Schwarzheide, Collection privée (© Luc Tuymans, source)

Au premier abord, les couleurs très douces - camaïeux de gris, de vert ou de bleu - y créent une impression d'harmonie qui ne résiste cependant pas longtemps à un second examen, dès lors que les cadrages se révèlent insolites voire franchement déstabilisants. Puis, à la lecture des cartels, ces peintures à l'allure inoffensive prennent insensiblement une dimension de plus en plus inquiétante. L'air paterne du modèle de "The Heritage VI" révèle un leader du Ku Klux Klan. La table si bien dressée ou les valseurs de "Proper" dissimulent un acharnement malsain à sauver les apparences. Et les stries verticales qui perturbent le tranquille alignement des pins de "Schwarzheide" renvoient l'observateur aux dessins que les prisonniers de ce camp de concentration nazi avaient coutume de découper en bandes plus petites dont ils se partageaient ensuite la garde, persistant ainsi à créer dans les circonstances les plus extrêmes. D'une toile à l'autre, les tableaux de Luc Tuymans s'imposent donc comme autant d'images dont le sens ne s'épuise décidément pas en un instant: autant d'images exigeant une lecture attentive.

Présentation de l'exposition sur le site du Palais des Beaux-Arts

Vous trouverez aussi, dans mon chapeau, une lecture du livre consacré à Luc Tuymans dans la collection "Art contemporain" des éditions Phaidon: ici

3 mai 2011

Naissance de l'écriture (1)

"Le soir même, j'étais assis dans mon lit avec du papier et un stylo pour m'inventer une signature. Elle figurait un bout de berge du ruisseau d'Ava, trois petits buissons, deux pierres anguleuses et pour finir encore deux buissons presque rampants."

Torgny Lindgren, "La Bible de Gustave Doré", Actes Sud, 2008, p. 101 (traduit du Suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus)

"Naissance de l'écriture (2)"

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2 mai 2011

Signes d’une vie intransigeante

“Correspondance complète (1793-1811)” de Heinrich von Kleist415F1XJFP7L__SL500_AA240_
4 étoiles

Gallimard/Le Promeneur, 2000, 484 pages, isbn 9782070757497

(traduit de l’Allemand par Jean-Claude Schneider)

La fréquentation du théâtre d’Heinrich von Kleist – et en particulier de son ultime chef-d’œuvre, “Le prince de Hombourg” – m’a laissé la forte impression d’une œuvre aussi lumineuse que troublante, échappant résolument à toute rationalisation facile, à toute tentative d’enfermement. Mais rien, dans le souvenir que je garde de l’œuvre, ne laissait présager ce que j’ai découvert de son auteur – ou du moins des traits les plus saillants de sa personnalité - à la lecture de sa correspondance. A tel point qu’il me semble nécessaire, et j’y reviendrai, de reprendre l’œuvre à la lumière de ces lettres.

Car si l’on laisse de côté une première lettre isolée, datée de 1793 et adressée par un Heinrich von Kleist adolescent à l’une de ses tantes, la sensation qui s’impose dès la deuxième missive, datée, elle, de 1799, alors que Kleist s’apprête à quitter l’armée pour reprendre ses études et qu’il détaille son projet de formation à l’intention de son ancien précepteur, est bien celle d’un enfermement dans un “plan de vie” qui ne laisse aucun espace de jeu. Le cadre de la réflexion de Kleist à ce moment est celui, très étroit, de la pensée rationnelle, des Lumières de la Raison, dont le jeune homme se fait le zélé prosélyte auprès de ses correspondants, de sa sœur Ulrike qu’il exhorte à se choisir elle aussi un projet de vie, et de sa fiancée, Wilhelmine von Zenge, qu’il encourage à se “former” assidûment, sans jamais relâcher ses efforts: “Oui, Wilhelmine, si tu pouvais me faire le plaisir de progresser sans cesse en cultivant ton cœur et ton esprit, si tu pouvais me permettre de faire de toi une épouse comme j’en souhaite une pour moi, une mère comme j’en souhaite une pour mes enfants, éclairée, instruite, dépourvue de préjugés, obéissant toujours à la raison et s’abandonnant volontiers à son cœur (…)” (p. 119)

De l’abandon de ses projets d’études à la rupture des fiançailles avec Wilhelmine von Zenge, puis au fil des tentatives (comme éditeur, journaliste, dramaturge…) et des échecs se succédant jusqu’à l’issue fatidique et au double suicide d’Heinrich von Kleist et d’Henriette Vogel au bord du Wannsee, en 1811, l’intransigeance du jeune homme changera parfois d’objet, l’idéal qui l’anime changera parfois de forme, mais sans jamais rien rabattre de ses terribles exigences. Celles-ci durent sans nulle doute peser lourdement sur les proches de Kleist, sa sœur Ulrike, sa cousine Marie ou encore Wilhelmine von Zenge. Et leur fréquentation assidue se révèle pesante aussi pour le lecteur d’aujourd’hui pourtant bien à l’abri, à près de deux siècles de distance, loin de ces temps où Kleist ne trouve décidément pas sa place, loin de la tourmente de la révolution française et des guerres napoléoniennes… La tension est pour ainsi dire constante, ne se relâchant qu’un court instant devant la beauté d’une madone de Raphaël ou la splendeur d’un paysage. Mais si éprouvante que soit la lecture de cette correspondance, celle-ci est essentielle à la connaissance de la personnalité d’Heinrich von Kleist et de sa trajectoire fulgurante, et elle se révèle par ailleurs fascinante à plus d’un titre, offrant ample matière à réflexion, historique comme psychologique.

Extrait :

“Hélas, tu ne sais pas ce qu’il y a au fond de mon être. Cela pourtant t’intéresse? – Oh, certainement! Et j’aimerais te faire tout partager, si cela était possible. Mais ce n’est pas possible, même s’il n’y avait pas d’autre obstacle que celui-ci: le défaut d’un moyen pour communiquer. Le seul que nous possédions, la langue, y est déjà impropre, elle ne peut peindre l’âme, et ce qu’elle nous donne n’est que fragments en lambeaux. Aussi ai-je chaque fois comme un sentiment d’effroi quand je dois révéler à quelqu’un le fond de ma nature; non pas que je craigne de le mettre à nu, mais parce que je ne peux pas tout montrer, ne le peux pas, et qu’il me faut redouter alors d’être mal compris à cause de cette image fragmentaire.” (p. 186)

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