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Dans mon chapeau...
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12 octobre 2010

Une voix dans les feuillages

Elm

For Ruth Fainlight

I know the bottom, she says. I know it with my great tap root:
It is what you fear.
I do not fear it: I have been there.

Is it the sea you hear in me,
Its dissatisfactions?
Or the voice of nothing, that was your madness?

Love is a shadow.
How you lie and cry after it
Listen: these are its hooves: it has gone off, like a horse.

All night I shall gallop thus, impetuously,
Till your head is a stone, your pillow a little truf,
Echoing, echoing.

Or shall I bring you the sound of poisons?
This is rain now, this big hush.
And this is the fruit of it: tin-white, like arsenic.

I have suffered the atrocity of sunsets.
Scorched to the root
My red filaments burn and stand, a hand of wires.

Now I break up in pieces that fly about like clubs.
A wind of such violence
Will tolerate no bystanding: I must shriek.

The moon, also, is merciless: she would drag me
Cruelly, being barren.
Her radiance scathes me.Or perhaps I have caught her.

I let her go. I let her go.
Diminished and flat, as after radical surgery.
How your bad dreams possess and endow me.

I am inhabited by a cry.
Nightly it flaps out
looking, with its hooks, for something to love.

I am terrified by this dark thing
That sleeps in me;
All day I feel its soft, feathery turnings, its malignity.

Clouds pass and disperse.
Are those the faces of love, those pale irretrievables?
Is it for such I agitate my heart?

I am incapable of more knowledge.
What is this, this face
So murderous in its strangle of branches?-

Its snaky acid hiss.
It petrifies the will. These are the isolate, slow faults
That kill, that kill, that kill.

Sylvia Plath, "Collected Poems", Faber and faber, 2002, pp. 192-193

La voix dans l'orme

Pour Ruth Fainlight

Je connais le fond, dit-elle. Je le connais par le pivot de ma grande racine:
C'est ce qui te fait peur.
Moi je n'en ai pas peur: je suis allée là-bas.

Est-ce l'océan que tu entends en moi,
Ses griefs, ses insatisfactions?
ou la voix du néant qui en un jour t'a rendue folle?

L'amour est une ombre.
Tes pleurs, tes mensonges ne sauraient le retenir
Ecoute: ce sont ses sabots: il s'est enfui comme un cheval.

Toute la nuit je galoperai avec la même fougue,
Jusqu'à ce que ta tête soit une pierre, ton oreiller un champ de course
Où l'écho viendra retentir.

A moins que je ne t'apporte le bruit sourd d'un poison?
Voici la pluie, et ce calme énorme est
Son fruit, couleur de fer blanc, comme l'arsenic.

J'ai subi les atrocités des couchers de soleil,
Me suis desséchée jusqu'à la racine
Et mes fibres brûlent, et je lève une main de barbelés rouges.

J'explose et mes éclats volent comme des massues.
Un vent d'une telle violence
Ne tergiverse pas: il faut que je hurle.

La lune non plus n'a pas de pitié: elle voudrait m'attirer
A elle, stérile et cruelle.
Sa splendeur me foudroie. Ou peut-être est-ce moi qui l'ai attrapée.

Je la laisse partir. Je la laisse partir.
Plate et diminuée comme après une cure radicale.
Combien tes mauvais rêves me possèdent, me ravissent.

Je suis cette demeure hantée par un cri.
La nuit, ça claque des ailes
Et part, toutes griffes dehors, chercher de quoi aimer.

Je suis terrorisée par cette chose obscure
Qui sommeille en moi;
Tout le jour je devine son manège, je sens sa douceur maligne.

Des nuages passent et se volatilisent.
Sont-ils les visages de l'amour, ces disparus livides?
Est-ce pourquoi j'ai le coeur bouleversé?

C'est là toute l'étendue de ma connaissance.
Qu'est-ce donc maintenant que ce visage
Sanguinaire dans son étranglement de branches? -

Son sifflement de serpents acides
Pétrifie la volonté. C'est la faille isolée, l'erreur lente
Qui tue, qui tue, qui tue.

Sylvia Plath, "Ariel", Gallimard/Du monde entier, 2009, pp. 31-33 (traduit de l'Anglais par Valérie Rouzeau)

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25 septembre 2010

Légume de saison

Puisque je viens de préparer, pour la première fois cette saison, en carbonades et à la gueuze, ce légume que l'on nomme "chicon" par chez moi, - assez bizarrement - "endive" outre-quiévrain, et - plus bizarrement encore - "belgian endive" en Canada anglophone, le moment me semble bien choisi pour vous proposer ici le délicieux poème qu'il a inspiré à David Van Reybrouck...

Witloof

"Zoals witloof,
niet de wortel die men breekt
en keert in de ast, maar de koele
kwetsbaarheid van het tere blad

zoals het donkerte wil om wit te zijn
en kilte zoekt om bitter te worden
en breekbaar blijft en bleek -
een bundel ongebroken verlangen

zoals het roerloos groeit,
een leger van stilte,
en opflakkert bij het licht van een lamp
een kort groeit uit hun grot van roest

zoals volmaakte vlammen
van een ondergronds branden"

Chicons

"Comme le chicon,
non pas la racine qu'on brise
et tourne dans la touraille, mais la fraîche
vulnérabilité de la tendre feuille

comme il veut le noir pour être blanc
et cherche le froid pour devenir amer
et reste fragile et pâle -
faisceau de désir intact

comme il pousse immobile,
une armée de silence,
et se ranime à la lueur d'une lampe
bref salut depuis sa grotte de rouille

comme les flammes parfaites
d'un feu souterrain"

David Van Reybrouck, in "Poëten in het vlaams parlement - Noord en Zuid/ Poètes au parlement flamand - Nord et Sud" (anthologie), Lannoo, 2004, pp. 184-185 (traduit du Néerlandais par Marnix Vincent)

1 septembre 2010

L'envol de l'hirondelle

"När svalan i blixtrande flykt sig kastar mot himlen
och inne bland trädens skuggor de älskande ser
aftonen djupna och havet med tystnad mängas,
står i den milda brisen jordens mörker och väntar
nattens kyla. Tiden stillnar. Redan har någon
där bortom viken tänt sin lampa i fönstret. Snart
är åter en dag i det flyktiga livet över."

"Lorsque, dans les éclairs de sa fuite, l'hirondelle se jette
vers le ciel et qu'au coeur des ombres de l'arbre, les amants
voient le soir s'approfondir et la mer se mêler au silence,
les ombres de la terre attendent dans la douceur de la brise le froid
de la nuit. Le temps s'immobilise. Là-bas, par-delà la baie,
quelqu'un a déjà allumé sa lampe à la fenêtre. Bientôt,
encore un jour de passé dans la vie éphémère."

Bo Carpelan, "Dehors", Arfuyen, 2007, pp. 16-17 (traduit du Suédois par Pierre Grouix)

26 juin 2010

"Pastorale"

Tes yeux pensent: il fait éternel et doux.
Ta bouche tout en eau me salue et m'inonde.
Bouche vagabonde. Qui hésite.
Que couvre le silence.
Ne cesse de couler.

Quel message, cavalier?
Est-ce l'étoile?
Je te regarde et la regarde. Je crois en vous.
Gravissez la colline.
Cheminant par l'étendue. Ne cessez de venir et de repartir.
L'étoile est, nous le savons, dans sa secrète gloire.

Mohammed Dib, "Le coeur insulaire", Editions de la Différence/Clepsydre, 2000, p. 103

26 mai 2010

Rencontre d'hiver avec António Lobo Antunes

Avec les oiseaux on apprend à mourir.
De même le froid de janvier
pris dans les mailles des branches n'enseigne pas autre chose,
disais-tu, regardant
les palmiers courir vers la lumière.
Qui arrivait à sa fin.
Et avec elle les mots.
J'ai cherché tes yeux où le bleu
innocent s'était réfugié.
Dans l'enfance, le coeur du lin
éloignait les animaux d'ombre.
Demain ce ne sera plus moi qui te verrai
grimper aux peupliers blancs.
Le resplendissement de tes mains impérissables.

Eugénio de Andrade

Foz de Douro, 18.1.2000

Poème placé en exergue de "N'entre pas si vite dans cette nuit noire" d'António Lobo Antunes, Points, 2004 (traduit du Portugais par Carlos Batista)

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4 mai 2010

"Do not go gentle..."

"Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieved it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night,
Rage, rage against the dying of the light."

Dylan Thomas, "Collected Poems 1934-1953", Everyman, 1993, p. 148

"N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s'emporter à la chute du jour;
Rager, s'enrager contre la mort de la lumière.

Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l'obscur est mérité,
Parce que leurs paroles n'ont fourché nul éclair ils
N'entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en une verte baie
Ragent, s'enragent contre la mort de la lumière.

Les hommes violents qui prirent et chantèrent le soleil en plein vol,
Et apprennent, trop tard, qu'ils l'ont affligé dans sa course,
N'entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue aveuglante
Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme météores et s'égayer,
Ragent, s'enragent contre la mort de la lumière.

Et toi, mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes, je t'en prie.
N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière."

Dylan Thomas, "Vision et Prière", Poésie/Gallimard, 1991, pp. 15-16 (traduit de l'Anglais par Alain Suied)

17 mars 2010

"Sans doute"

En un dixième de seconde
un peu moins sans doute
mon enfance s'est plombée
sur une détonation
et depuis c'est elle que je cherche
à mesure que tous les jours
un peu plus sans doute
mon enfance m'échappe
et je l'ai traversée sur les continents
dans la foule et la solitude
aussi sur des ventres matriciels
et j'ai fouillé les angles du monde
à l'envers j'ai dormi dans le lit des secrets
qu'on épluche un à un le dernier découvrant
le suivant comme poupées gigognes
pour refluer au point de départ
où tout commence quand l'enfance
finit je n'ai rien trouvé sinon rien
on a beau jouer le jeu le jour
feindre que vivre au coin d'un sourire
on sait quand même qu'au milieu de soi
quelque chose à l'écart pourrit
et qu'à cette rapide moisissure
il est inutile de rétracter
la dernière consonne de détonation
parce que ça sonne le temps à peine
d'un dixième de seconde vous aviez un père
et le voilà en allé avec votre enfance
sur son épaule puis il faudra bien vivre
devenir père et simuler peut-être
de croire en la poursuite
d'un temps révolu disparu
au moment mécanique du revolver
le temps d'annuler le temps
un peu moins un peu plus qu'importe
des bras chauds un modèle
une exigence et la belle et pure folie
entre lesquels loger notre enfance
à côté du coffre aux trésors
de tout ce qui est à jamais
sans nul doute
perdu.

Serge Delaive, "Le livre canoë (poèmes et autres récits)", Editions de la Différence/Clepsydre, 2001, pp. 23-24

23 janvier 2010

"Femmes des années folles"

Onze années très noires
la mort était là pour la première fois
avec son visage de tango
la fleur serrée entre les dents.
Après avoir été
une traînée exhibant ses paillettes
au théâtre elle m'expliquait l'argent pièce à pièce
- ses yeux se fermèrent -
l'amoureuse la sublime
femme des années folles
elle a vieilli elle est morte hier
elle avait un saint homme dans la peau
encore même à l'agonie
elle l'aima avec un caillot de sang qui lui brouillait la langue
avec ses yeux gris azurés
cette raie au milieu brillantinée et le bandonéon
éclaboussait de tragédie ses bas tissés
- folle à lier par sa bouche rouge -
les femmes des années folles prennent la fuite
comme ça entre les doigts
histoires de foetus noyés dans les cuvettes des w.-c.
et moi j'adorais sa jupe ardente
le mégot lancé furieusement sur trottoir
écrasé à n'en plus pouvoir sous le soulier de satin
le sourcil arc-en-ciel duveteux
fausses émeraudes transperçant les oreilles
alcooliques prostrées
pourries génériques sanglantes
pétries glaciales humbles
maigres et nues des années folles
elles viennent se jeter sur un lit
- dehors c'es le carnaval du monde -
puritaines putes pacifiques
j'ai hérité d'elles
je leur arrache le cancer du rein
j'absorbe jusqu'à la dernière cendre de leur maigreur
félonies dans les hôtels toilettes pimpantes poignardées
je jure et tire contre les gangsters
contre les macs impuissants
sadiques gélatineux
aigres fantômes des carrefours
je pleure sur l'album de photos me penche vacille
après tout ce temps on peut dire qu'elles ont été tuées par
l'abstinence les scandales
le balais la planche à repasser
les chaudrons charbonneux les jupons brodés
les suçons sous les bras
les gros ventres les bars les victrolas les perruques
les grains de beauté à demi effacés par la sueur
- j'ai peur de la rencontre avec le passé qui revient -
vieilles aimées des années folles
souveraines mal lunées poupées savoureuses
lionnes faciles elles me plaisent
je les admire je me suicide pour vous chers fossiles
qui vont me laisser leurs malles pleines de fringues
la vocation d'actrice
les clés du nid amies décorées
cinéma muet corsets amidonnés
bavardes pisseuses
qui vont me les laisser
ne faites pas les comptes de leurs années
enragées du tango croupissant sur des chaises roulantes
aveugles rouspéteuses raisonnables femmes des années folles
je suis ici grâce à vous.

Zoé Valdés, "Une Habanera à Paris", Gallimard/Du monde entier, 2005, pp. 35-37 (traduit de l'Espagnol par Claude Bleton)

25 décembre 2009

"Christmas"

La neige est sur Noël et Noël sur la neige
Avec un soleil d'or qui dessine des arbres
Des maisons des autos des enfants qui se cabrent
En glissant sur les fesses une pente en arpège

Aménagée au coin Montarville et Saint-Charles
Jerry a étrenné son beau paletot beige
Et sort avec Rita dans la lumière grège
Que Noël fait couler aux hanches des érables

Le jour est lumineux comme un regard d'enfant
On oublie qu'on est vieux que le monde est dément
Moins dément que la vie Plus vivant que la mort

La lumière parfois cisèle un diamant
Et vous le jette à l'oeil tel un simple trésor
C'est gratuit à Noël Comme l'amour et l'or

Jean O'Neil, "Montréal by foot", Editions Libre Expression, 2005, p. 80

Un autre poème de Jean O'Neil, dans mon chapeau: "Now is the time"

2 décembre 2009

Un jardin, un jour en juin

"För trött att sova börjar han bygga en trädgård
eller närmast en ensam park och väljer en dag i juni
Där placerar han fyra vita gammaldags rottingstolar.
Han kallar på de innenboende och de kommer i ljusa kläder,
samlas kring bordet där lampan tänds och skymningen dröjer.
Där är barn som springer omkring och försvinner.
De aldre
lutar sig mot varandra, han hör inte vad de säger.
Så länge han ser dem lever de ännu när mörkret faller,
lätt, som det brukar i juni, tills ett stråkdrag av kyla
driver dem in i trappans mörker och parken åter är tyst.
Det som var och är efterlangtat fanns där och finns:
lampan lyser på bordet när han om morgonen vaknar."

"Trop fatigué pour dormir, il se met à bâtir un jardin
ou plutôt un parc solitaire, et choisit un jour en juin.
Il y place quatre chaises en rotin blanc à l'ancienne.
Il appelle les habitants qui s'avancent en habits clairs, s'assemblent
autour de la table, où la lampe est allumée et où le crépuscule
s'attarde. Des enfants courent autour et disparaissent.
Les aînés,
dont il n'entend pas les propos, se penchent les uns contre les autres.
Aussi longtemps qu'il les voit, ils vivent encore lorsque l'obscurité tombe,
légère, comme toujours en juin, jusqu'à ce qu'un coup d'archet de froid
les conduise au coeur des ombres de l'escalier et que le parc devienne
silencieux. Ce qui fut et qu'on regrette était là et s'y trouve encore:
la lampe brille sur la table quand, le matin, il s'éveille."

Bo Carpelan, "Dehors", Arfuyen, 2007, pp. 36-37 (traduit du Suédois par Pierre Grouix)

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