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Dans mon chapeau...
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28 avril 2011

"La société du spectacle"

"Valparaiso" de Don DeLillo311JZCVPTNL__SL500_AA300_
4 étoiles

Actes Sud/Papiers, 2001, 54 pages, isbn 2742732047

(traduit de l’Anglais par Dominique Hollier)

Pour s’être retrouvé à Valparaiso au Chili, à la suite d’un enchaînement de petits dérapages idiots d’un aéroport à l’autre, alors que son employeur l’avait envoyé en mission à Valparaiso dans l’Indiana – mésaventure cocasse, peut-être un peu ridicule mais surtout franchement sans intérêt -, Michael Majeski s’est vu emporté dans un véritable tourbillon médiatique, les quinze minutes de célébrité qu’Andy Warhol avait promis à tout un chacun s’étirant dans son cas au long de dizaines et de dizaines d’interviews – dont un montage forme le premier acte de "Valparaiso" - et finalement d’une participation à un talk show - qui fait lui l’objet du second acte.

Du plus trivial au plus intime, rien n’échappe au grand déballage, au besoin acharné des journalistes de tout dévoiler, ni les détails de la mésaventure de Michael, ni l’accident de voiture dont il s’était rendu responsable, ni la tenue que sa femme Livia porte pour dormir, "En pyjama peut-être? Ou avec une chemise de nuit à l’ancienne? Nous avons besoin de savoir. Un grand T-shirt? Qu’est-ce qu’il y a écrit, sur le T-shirt? Dites-nous exactement ce que vous avez vu. Ou bien nue dans les draps emmêlés, ne réagissant que lentement à votre toucher. Dites-nous tout. Ou bien agitée et palpitante. Cette espèce de murmure de sommeil rance et des draps froissés et de chaleur corporelle." (p. 10)

Cet argument très simple au fond laisse attendre un portrait-charge, une caricature au vitriol de notre société du spectacle, de ses reality shows et de la peopelisation qui en résulte. Attente déçue en l’occurrence car l’une des grandes forces de cette pièce à la mécanique parfaitement réglée est que Don DeLillo n’y force pas le trait, qu’il n’y exagère rien ou si peu, que l’on se voit bien obligé à reconnaître la justesse du portrait qu’il y trace, avec une l’intelligence froide et aiguisée dont il est coutumier, de la société dans laquelle nous vivons: celui d’un spectacle pathétique, superficiel et cruel, offrant à ses spectateurs avec l’illusion d’une vie plus pleine, une compensation à leurs frustrations, une réponse à leurs besoins les plus secrets et obscurs.

Extrait:

"MICHAEL. Ils m’ont appelé trois fois aujourd’hui. Ce sont des gens tellement tristes, tellement comme il faut, tellement fatigués, tellement moyens. Je leur ai dit. J’ai dit que je ne pouvais plus assumer. Il n’y a que tant d’heures dans une journée. J’ai besoin d’un peu d’espace pour changer. J’ai besoin d’un peu d’espace pour changer. J’ai besoin de temps pour souffler. Trop d’engagements. Trop de voyages éprouvants.
LA JOURNALISTE. Ce qui signifie.
MICHAEL. Oui.
LA JOURNALISTE. Vous refusez toute nouvelle demande d’interview.
MICHAEL. Non. Je quitte mon boulot. Je démissionne. Ils sont tellement dociles, tellements sinistres, tellement vérolés. Voulez-vous que je parle vite, lentement... ce que vous voudrez.
(...)
LA JOURNALISTE. Qu’est-ce que je devrais dire?  Que ma vie est si peu remarquable que c’est à peine si je me reconnais dans le miroir.
MICHAEL. Moi aussi j’étais comme ça.
LA JOURNALISTE. Qu’est-ce que je devrais dire? Querien que le mot – ma vie – est une effroyable hyperbole.
MICHAEL. Moi aussi j’étais comme ça.
LA JOURNALISTE. Alors vous savez. Comme certaines personnes sont capables en prononçant ce mot de vous faire imaginer une entreprise débordante d’activité." (pp. 19-21)

D'autres livres de Don DeLillo, dans mon chapeau: "Body Art", "Les noms" et "Coeur-saignant-d'amour"

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