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Dans mon chapeau...
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2 mars 2011

Une poésie ancrée dans la vie

"Tombes de verre" d'Abbas Beydoun51RiTuPK0aL__SL500_AA300_
4 étoiles

Actes Sud/Sindbad, 2007, 144 pages, isbn 9782742767021

(traduit de l'Arabe par Madona Ayoub, Antoine Jockey et Bernard Noël)

En reprenant quatre longues séquences poétiques extraites originellement de quatre recueils différents, "Tombes de verre" nous propose en quelque sorte une anthologie traversant près de vingt ans de la création poétique d'Abbas Beydoun, de 1985 ("Tombes de verre") à 2005 ("Une saison à Berlin", "Personne dans la demeure du cyclope"). L'ensemble impose pourtant la cohérence d'une oeuvre à l'inspiration autobiographique avouée. La première de ces quatre suites poétiques, "Tombes de verre", évoque en effet l'emprisonnement de l'auteur dans un camp militaire israélien, lors de l'invasion israélienne au Liban en 1982. "Les païens de Paris" et "Une saison à Berlin" trouvent leurs sources dans les séjours d'Abbas Beydoun dans ces deux villes: ses sentiments d'exil ou de dépaysement, mais aussi ses impressions diverses, en forme de cartes postales de la place de Potsdam ou d'un concert de Stockhausen. Et enfin, "Personne dans la demeure du cyclope" lui fut directement inspiré par la maladie et le suicide de son neveu, Ziad.

Autobiographique, la poésie d'Abbas Beydoun est aussi profondément ancrée dans la vie, dans ce qu'elle peut avoir de plus concret, cru, violent, déchirant et douloureux, dans les larmes, le sang et la sanie. Tant et si bien qu'il semble que l'auteur aurait pu faire siens ces mots qu'il place dans la bouche de son neveu Ziad: "Leurs voix souffrent beaucoup avant de prononcer ces vocables. C'est comme si on coupait une tempête ou si on l'étouffait pour extraire ces créatures minuscules et subtiles appelées mots et que même le tonnerre fuit. Il faudrait se demander combien de vents et d'éclairs nous avons liquidés pour les obtenir, ces petits insectes tordus. Combien de tonnes de rires, de hurlements et de bruit, ou combien de tonnes de silence nous avons épuisés." (p. 140) De forme libre, cette poésie-là n'a sans doute rien pour plaire aux amateurs exclusifs de sonnets proprets et bien peignés. Aux lecteurs plus aventureux, elle révélera en revanche un regard sur le monde original et radicalement neuf.

Extrait:

Tombes de verre (16)

Il y avait cependant des décors très hauts qui ne dormaient jamais
Des yeux de sentinelles vigilants comme des drogues
D'immenses pharmacies pour les épidémies
Et de grands crachoirs qui veillaient
Eveil du monde de la nuit où une pomme se gâte de l'extérieur
Eveil des bêtes dans le bâtiment de la tour
Des cadavres montant dans l'air du salon
Des tables froides dans les caves
Hommes et machines enlacés devant les fenêtres
Des fossés qui bâillaient
Et salive concentrée et colorant du corps (p. 30)

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