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Dans mon chapeau...
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24 novembre 2010

R.C. tel qu’en lui-même...

51_2BG2eZrNwL__SL500_AA300_"Débutants (Oeuvres complètes, t. 1)" de Raymond Carver
4 ½ étoiles

Editions de l’Olivier, 2010, 335 pages, isbn 9782879296593

(traduit de l’Anglais par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso)

Le fait est bien connu des lecteurs de Raymond Carver: le nouvelliste dut le début d'une reconnaissance publique et critique à son editor (le mot anglais n'a pas la même signification que le terme français d'éditeur), Gordon Lish, personnage très influent dans les milieux littéraires américains des années 1970-1980, actif notamment auprès du magasine Esquire et de la prestigieuse maison d'édition Alfred A. Knopf. Critique littéraire avisé, défenseur de la première heure du mouvement Beat ou encore du romancier Richard Ford, Gordon Lish est aussi un adepte déclaré d'un certain minimalisme, et il a clairement imposé sa marque dans ce sens, lorsqu'il édita – en coupant et corrigeant à tour de bras - ce qui devait devenir "What we talk about when we talk about love"*, le seul recueil de nouvelles de R. Carver publié par ses soins en 1981. Et ce n'est qu'en 2009 que les textes de Raymond Carver, tels que celui-ci les avait pensés, écrits et voulus, virent enfin le jour chez Jonathan Cape sous le titre "Beginners".

C'est donc par une véritable découverte que les éditions de l'Olivier ont décidé d'entamer leur nouvelle publication des oeuvres complètes de Raymond Carver: en nous offrant pour la première fois en traduction française ces "Débutants", dix-sept nouvelles dont certaines, grâce au cinéma, paraîtront pourtant familières aux lecteurs de langue française. "Une petite douceur", histoire d'un couple dont le petit garçon se fait renverser par une voiture le jour de son anniversaire, a en effet été porté à l'écran par Robert Altman, en même temps que d'autres nouvelles de Raymond Carver, dans le très beau film choral qu'est "Short Cuts". Et plus récemment, c'est "Toute cette eau si près de chez nous" - où un couple entre dans une crise très profonde après que le mari, parti pêcher pendant tout un week end dans un coin sauvage avec une bande d'amis, n'aie pas jugé bon d'interrompre son excursion pour signaler immédiatement à la police la découverte du cadavre d'une jeune femme assassinée - qui s'est vu transposé en Australie sous le titre "Jindabyne".

Mais qu'elles nous semblent familières ou non, toutes les nouvelles de "Débutants" témoignent du même pouvoir de fascination, de la même capacité à emporter leur lecteur dans un univers tissé tout à la fois de vies ordinaires et de sentiments complexes et ambigus, sinon franchement contradictoires. Ce sont autant d'histoires de pauvres types rongés par l'alcool, de couples en pleine déglingue ou à tout le moins éprouvé par la maladie, tels Edith et James Packer, les deux héros amateurs de bingo de "Si tu veux bien". Et dans ce monde où nous transporte la plume de Raymond Carver, il n'est pas jusqu'aux objets inanimés, entassés sur la pelouse dans le paragraphe d'ouverture de la toute première nouvelle, "Si vous dansiez", qui ne se fassent porteurs de sens, frémissant d'émotions retenues: "A la cuisine, il se versa un nouveau verre et regarda les meubles de la chambre à coucher dans le jardin devant chez lui. Le matelas était nu et les draps aux rayures multicolores, posées à côté de deux oreillers sur le chiffonnier. En dehors de ça, les choses avaient à peu près la même allure que dans la chambre – table et lampe de chevet de son côté à lui du lit, table et lampe de chevet de son côté à elle. Son côté à lui, son côté à elle. Il y songea en sirotant le whisky. Le chiffonnier était à un mètre du pied du lit. Il en avait vidé les tiroirs dans des cartons, ce matin-là, les cartons étaient dans la salle de séjour. Il y avait un radiateur d’appoint à côté du chiffonnier. Un fauteuil de rotin avec un coussin de tapisserie au pied du lit. La batterie de cuisine d’aluminium brillant occupait une partie de l’allée. Une nappe de mousseline jaune, bien trop grande, un cadeau, recouvrait la table et pendait sur les côtés. Il y avait une fougère en pot sur la table, et aussi une ménagère, autre cadeau." (p. 7)

Emouvantes, les nouvelles de "Débutants" le sont au point qu'elles peuvent faire peur, et mal. Si terriblement humaines, jusque dans ce que l'Humain a de moins reluisant, elles flirtent parfois de si près avec l'insoutenable qu'on prendrait volontiers ses jambes à son cou pour s'en aller lire autre chose, tout comme – et pour les mêmes raisons que - le narrateur de "L'incartade", rebuté par la confession que lui livre son père, de son infidélité conjugale et de ses terribles conséquences: "J’avoue que j’ai le sentiment d’avoir mal agi ce jour-là à l’égard de mon père, de lui avoir peut-être fait faux bond à un moment où j’aurais pu lui venir en aide. Pourtant quelque chose d’autre me dit qu’on ne pouvait plus l’aider, que je ne pouvais plus rien pour lui, et que l’unique chose qui transparut entre nous au cours de ces quelques heures fut qu’il m’amena – me contraignit serait peut-être plus juste – à entrevoir mon propre abîme; et rien ne peut venir de rien, comme dit Pearl Bailey et comme nous le savons tous d’expérience." (pp. 63-64)

Liste des nouvelles publiées dans "Débutants":

- Si vous dansiez
- Dans le viseur
- Où sont-ils passés, tous?
- Gloriette
- Tu veux que je te fasse voir quelque chose?
- L'incartade
- Une petite douceur
- Je dis aux femmes qu'on va faire un tour
- Si tu veux bien
- Toute cette eau si près de chez nous
- Neuneu
- La tarte
- Le calme
- A moi
- Distance
- Débutants
- Un dernier mot

* En V.F.: "Parlez-moi d'amour"

L'avis d'Yvon

D'autres livres de Raymond Carver, dans mon chapeau: "La vitesse foudroyante du passé" et "Parlez-moi d'amour".

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