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Dans mon chapeau...
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5 mars 2010

Un théâtre de l'intime

"Mademoiselle Julie""Le Pélican" d'August Strindberg51W0HGDYTSL__SL500_AA300_
4 étoiles

GF Flammarion, 1997, 245 pages, isbn 9782080709707

(traduit du Suédois par Régis Boyer)

Deux personnages de femmes s'imposent à l'avant-plan des deux pièces rassemblées ici. Mademoiselle Julie tout d'abord, dernier rejeton d'une lignée aristocratique dont elle signe la déchéance en se jetant au mépris de son rang dans les bras de Jean, le valet fiancé à Kristin, la cuisinière. Et bien plus monstrueuse encore, la mère de famille à l'égoïsme forcené du "Pélican" dont le titre constitue une allusion ironique à l'oiseau qui selon la légende n'hésiterait pas, en temps de famine, à nourrir ses petits de sa propre chair et que l'iconographie chrétienne associe par conséquent à la figure du Christ et au sacrement de l'Eucharistie. Deux personnages exemplaires, on l'aura compris, de la misogynie proverbiale d'August Strindberg qui en a sans doute agacé plus d'un (et certainement plus d'une).

Mais ce sont pourtant d'autres aspects de l'oeuvre du dramaturge suédois que Régis Boyer a choisi – et à raison me semble-t-il - de mettre plus particulièrement en lumière dans le texte de présentation qui ouvre ce volume. A commencer par la grande économie de moyens de ce théâtre tout entier centré sur l'intime, la tentation du rêve si bien incarnée par Gerda dans "le Pélican" – "Laisse-moi dormir! Je sais que je me réveillerai mais que ce soit dans longtemps! Ouh! Tout ce que je ne sais pas mais que je soupçonne!" (p. 186) -, les aspirations irréalisables et les déceptions et l'amertume qu'elles suscitent... La force des images ensuite: le petit oiseau mort de "Mademoiselle Julie", ainsi que la sonnette et la paire de bottes qui suffisent à représenter son père, "monsieur le Comte". Autant de qualités auxquelles j'ai été très sensible tout au long de ma lecture de "Mademoiselle Julie", et un peu moins au cours de celle du "Pélican", pièce que j'ai éprouvé quelque peine à me représenter sur mon théâtre intérieur sans l'aide de comédiens incarnant véritablement les personnages.

Extrait:

MADEMOISELLE

Tout ça, c'est bien! Mais Jean... il faut que tu me donnes du courage... Dis que tu m'aimes! Viens et prends-moi dans tes bras!

JEAN (hésitant)

Je veux... mais je n'ose pas! Plus ici, dans cette maison! Je vous aime... sans aucun doute... Pouvez-vous en douter?

MADEMOISELLE (timidement, bien féminine)

Vous!... Dis-moi tu! Entre nous, plus de barrières!... Dis-moi tu!

JEAN (au supplice)

Je ne peux pas!... Il y a encore des barrières entre nous, tant que nous séjournerons dans cette maison... Il y a le passé, il y a monsieur le Comte... et je n'ai jamais rencontré personne pour qui j'aie un pareil respect... il me suffit de voir ses gants sur une chaise, je me sens petit... Il suffit que j'entende la sonnette là-haut, je sursaute comme un cheval ombrageux!... Et quand je vois ses bottes là, droites et arrogantes, ça me prend dans le dos, il faut que je me courbe! (Il donne un coup de pied dans les bottes) Superstition, préjugés qu'on nous a enseignés depuis l'enfance... mais qu'on ne peut pas tout aussi facilement oublier.

(p. 106)

Un autre livre d'August Strindberg, dans mon chapeau: "Le sacristain romantique de Rånö"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

Et pourquoi ne pas prolonger la lecture par une visite du Musée Strindberg?

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