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Dans mon chapeau...
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21 janvier 2010

Kaléidoscope sensoriel

"Musique d'un puits bleu" de Torborg Nedreaas51DHCg5HB5L__SL500_AA240_
4 étoiles

Cambourakis, 2009, 308 pages, isbn 9782916589428

(traduit du Norvégien par Régis Boyer)

Une petite dizaine de printemps, de longues tresses rousses et un album de poésie en bandoulière, Herdis voit son monde s'effondrer, et même doublement sous les effets conjugués du divorce de ses parents et de la première guerre mondiale qui bat alors son plein. Des bouleversements d'importance que Torborg Nedreaas choisit ici de nous présenter exclusivement à travers les perceptions de son héroïne qui, si elle est bien trop jeune pour comprendre tous les tenants et aboutissants de ces événements, fait preuve d'une acuité sensorielle, et d'une originalité de vue, tout à fait étonnantes.

Le regard que Torborg Nedreaas pose par ce biais sur la Bergen des années 1910 est bien singulier: décomposé en courtes saynètes dont l'enchaînement ne s'impose pas toujours de façon évidente et dont l'interprétation incombe presque totalement au lecteur, confronté, à travers les yeux d'Herdis, aux faits bruts, sans explication. On verra ainsi des voisins chassés de leur logement dont ils n'ont pu payer le loyer, tandis que l'on ne surprendra que par quelques allusions discrètes la spéculation effrenée par laquelle quelques esprits peu scrupuleux – dont le père d'Herdis – tentent de mettre à profit les années de guerre pour faire fortune. Comme l'on verra disparaître l'un après l'autre les tableaux qui ornent les murs de l'appartement des grands-parents maternels. Mais singulier, ce monde l'est aussi, que Torborg Nedreaas ressuscite dans "Musique d'un puits bleu": celui d'une petite communauté juive émigrée de l'Allemagne vers la Norvège au XIXème siècle, à laquelle appartient justement la famille maternelle d'Herdis. L'on comprend d'ailleurs - fut-ce en partie grâce aux éclaircissements apportés par Régis Boyer dans une préface fort intéressante - que les convictions farouchement germanophiles du grand-père sont largement responsables des difficultés économiques que rencontre sa famille. Et qu'elles ne contribuent pas peu aux nombreux froncements de sourcils que suscite chez la grand-mère paternelle de notre petite héroïne, qui est elle terriblement norvégienne et bonne protestante, le clan de son ex-belle fille...

Passé un premier abord quelque peu déstabilisant, "Musique d'un puits bleu" se révèle comme un roman profondément original. Et une très belle découverte de l'oeuvre d'un écrivain que Régis Boyer, fin connaisseur des lettres scandinaves s'il en est, nous présente comme l'un des principaux auteurs norvégiens des années d'après-guerre.

Extrait:

"Elle avait jeté son manteau sur le premier siège venu et s'était recroquevillée dans le fauteuil de cuir devant la fenêtre, où elle écoutait avec ses yeux, ses oreilles, son épiderme. A certains endroits, pluie et grêle s'abattaient verticalement en formant une bande aussi violente que du feu, tandis que des flocons qui ne parvenaient pas à se décider pour un endroit où se poser, dansaient avec insouciance. Ils se taquinaient mutuellement, se fuyaient les uns les autres. Ils soulevaient avec eux les notes inquiètes des cloches et les éparpillaient sur le monde de telle façon qu'elles s'effritaient et tombaient en petits fragments." (p. 167)

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