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Dans mon chapeau...
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2 juillet 2009

Une poésie introspective

"Histoire de pluie et autres poèmes" de Bella Akhmadoulina 31Y_D4ERmDL__SL160_AA115_
4 étoiles

Buchet/Chastel, 2009, 137 pages, isbn 978228302317

(traduit du Russe par Christine Zeytounian-Beloüs)

Née à Moscou en 1937, Bella Akhmadoulina – aujourd’hui encore peu connue des lecteurs francophones - appartient à la génération des poètes qui ont fait leur entrée sur la scène littéraire peu après la disparition de Staline. Comme certains de ses contemporains, elle s’est rendue célèbre en URSS par des lectures publiques de ses œuvres, et par son engagement dans les combats de l’époque pour une plus grande liberté d’expression. Sa traductrice, Christine Zeytounian-Beloüs, nous la présente tout simplement comme "l’un des plus grands poètes russes vivants" (p. 7), tout en précisant que son écriture aurait évolué, au cours des années 1970 et 1980, "vers davantage de complexité et de métaphores, en approfondissant la plongée dans un paysage intérieur reconnaissable entre tous et toujours aussi poignant" (p. 8).

Si l’évolution annoncée ne m’est pas apparue clairement au cours de ma lecture de ces "Histoire de pluie et autres poèmes" - qui nous permet de parcourir en un clin d’œil cinquante années de création, et qui est en fait le premier recueil de Bella Akhmadoulina disponible en Français -, je suis bel et bien tombée sous le charme de ce "paysage intérieur" où une propension certaine à l’introspection, au long d’insomnies récurrentes (de "Dormir" (poème écrit en 1960) à "Nocturnes" (daté de 1985)), se mêle à une réflexion fouillée (d’ailleurs parfois teintée d’humour, comme dans la longue séquence d’"Histoire de Pluie") sur l’écriture, la place du poète dans la société, la vie, le bonheur, la maladie…

Bref, c’est une jolie découverte que cette poésie souvent mélancolique, mais aussi insolite, surprenante et émouvante.

Extrait:

Histoire de pluie (5)

"L’hôtesse, à dire vrai,
n’aurait pas dû m’aimer en toute logique,
mais la timidité de se montrer vieux-jeu
l’en empêchait un peu, en quoi elle avait tort.

- Comment vous portez-vous ? (Ah, l’éclat de l’orage
dompté dans la fine gorge de l’orgueilleuse !)
- Merci, dis-je, je me suis roulée dans la fièvre
comme une truie se roule dans la boue.

(Quelque chose ne va pas chez moi. Pourtant,
je m’apprêtais à dire en inclinant la tête :
- Ma vie est agitée mais cependant glorieuse,
d’autant que je vous vois une nouvelle fois.)

Elle énonce :
- Il faut que je vous gronde.
Avec un tel talent !
Venir à travers pluie ! Et marcher aussi loin !
Et tous de s’exclamer :
- Au feu. Conduisez-la au feu !
- Un jour, en d’autres temps,
sur une place parmi la musique et les cris,
nous aurions pu nous voir au roulement du tambour,
et vous auriez crié :
« Au feu, jetez-la donc au feu ! »

Pour tout ! Et pour la pluie ! Pour l’après et l’avant !
Pour la nécromancie de deux prunelles noires,
et pour les sons, tels des noyaux de cerises,
qui jaillissent des lèvres sans effort.

Je te salue ! Vise-moi de tes bonds.
Mon frère feu, mon chien aux mille langues !
Lèche mes mains dans ta grande tendresse :
toi aussi tu es Pluie ! Humide est ta brûlure !

- Ce monologue est quelque peu bizarre,
réplique mon hôte vaguement offusqué.
Mais après tout : vive la jeunesse en herbe !
La nouvelle génération me plaît.

- Surtout ne m’écoutez pas ! je délire !
dis-je. La Pluie en est fautive.
Tout ce jour, elle m’a tourmentée comme un démon.
Oui, cette Pluie est cause de mes ennuis.

Soudain, je vois à la fenêtre
ma Pluie fidèle et seule, sanglotante.
Et vient nager dans mes yeux en deux larmes
la trace de la Pluie restée en moi."
(pp. 34-36)

D'autres extraits de "Histoire de pluie et autres poèmes", dans mon chapeau: "Dormir" et "La nuit où tombent les pommes"

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