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Dans mon chapeau...

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3 avril 2011

Des passions et de leurs sanctions

"Histoire de la princesse de Montpensier" de Madame de Lafayette01065669624
4 étoiles

Gallimard/Folio, 2010, 131 pages, isbn 9782070360949

A la lecture des trois nouvelles rassemblées ici, sous le titre de la première et de la plus longue d'entre elles, on ne peut que reconnaître en madame de Lafayette la digne contemporaine de Corneille et de Racine. La passion amoureuse y déroule en effet sa mécanique implacable, à l'issue forcément tragique, dans une langue à la beauté classique et épurée, bien loin de tout pathos.

C'est que le "Va, je ne te hais point" de Chimène à Rodrigue n'aurait sans doute pas déparé dans la bouche des trois héroïnes dont madame de Lafayette nous conte ici le triste sort. Que ce soit la princesse de Montpensier ("Histoire de la princesse de Montpensier") prise au piège entre la jalousie de son mari, l'amour non payé de retour que lui portent le duc d'Anjou (futur roi de France sous le nom d'Henri III) ou le comte de Chabannes, et sa passion partagée pour le duc de Guise. Ou la comtesse de Tende ("Histoire de la comtesse de Tende"), prise d'une passion violente pour l'homme qu'elle avait pourtant aidé à conquérir une autre femme en la personne de sa meilleure amie, la princesse de Neuchâtel. Ou encore la pauvre Bélasire ("Histoire d'Alphonse et de Bélasire") que la jalousie de son fiancé a finalement poussée à trouver refuge dans un couvent des plus austères. De toute façon, c'est au lecteur qu'il revient le plus souvent d'imaginer les gestes et les paroles de personnages dont madame de Lafayette a choisi de ne nous proposer pour l'essentiel qu'une analyse distanciée et parfois même moralisatrice – au lecteur ou au scénariste de la récente adaptation de l'histoire de la princesse de Montpensier par Bertrand Tavernier, dont je suis à présent fort curieuse de découvrir la vision de ce texte certes d'un autre temps mais qui ne s'en lit pas moins avec un grand plaisir.

Extrait:

"La princesse de Montpensier demeura affligée et troublée, comme on se le peut imaginer; de voir sa réputation et le secret de sa vie entre les mains d'un prince qu'elle avait maltraité et d'apprendre par lui, sans pouvoir en douter, qu'elle était trompée par son amant étaient des choses peu capables de lui laisser la liberté d'esprit que demandait un lieu destiné à la joie. Il fallut pourtant y demeurer, et aller souper ensuite chez la duchesse de Montpensier sa belle-mère, qui la mena avec elle." (p. 45)

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31 mars 2011

Un cheveu sur la langue

"Body Art" de Don DeLillo41RQ663S0GL__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Actes Sud, 2001, 126 pages, isbn 2742731849

(traduit de l'Anglais par Marianne Véron)

Cinéaste de soixante-quatre ans, dont l'heure de gloire est passée depuis longtemps, Rey Robles a mis fin à ses jours en se tirant une balle dans la tête, dans l'appartement de sa première (et ex-)épouse. Récit bref et décanté, "Body Art" suit à partir de là la veuve de Rey, Lauren Hartke – sa troisième épouse, de vingt-huit ans sa cadette - du dernier petit-déjeuner qu'ils avaient pris ensemble jusqu'au moment où la conscience de la jeune femme enregistre enfin l'absence définitive de son mari.

Elle-même artiste, Lauren pratique le Body Art, terme que la traductrice s'est refusée à transposer en Français, et il faut bien reconnaître que l'on ne voit pas comment elle aurait pu faire, tant la notion que ce mot recouvre semble... à tout le moins particulière. Lauren, donc, utilise son corps comme un instrument d'évocation, un instrument dont elle cherche sans cesse à repousser les limites, jusque dans l'effacement. Plus précisément, dans les mois qui suivent la mort de Rey, "C'était ça son travail, déserter tous les territoires précédents de son apparence et de son allure pour devenir vacuité, une ardoise corporelle d'où était effacée toute ressemblance passée." (p. 86)

Et pendant tout ce temps durant lequel elle prépare son nouveau spectacle, restée seule dans la grande maison isolée où elle s'était installée avec son mari, à peine quelques mois plus tôt, Lauren se confronte à un hôte d'abord indésirable puis petit à petit accepté, un squatter à l'allure étonnante: "Il avait le menton en retrait, sévèrement rentré, ce qui donnait à son visage un air inachevé, et ses cheveux raides et hirsutes étaient hérissés de noeuds. Elle devait se concentrer pour noter ces traits. Elle le regardait et puis il fallait qu'elle le regarde encore. Il y avait dans son aspect quelque chose d'évasif, d'un instant sur l'autre, une ténuité de sa présence physique." (p. 47). Un être effacé, irréel, absent et pour ainsi dire incapable de communiquer, tout au plus de répéter certains mots, ou de reproduire certaines inflexions des voix de Lauren ou de Rey. Jusqu'à la dernière page, Don DeLillo laisse planer l'ambiguité sur l'existence de ce personnage mystérieux: squatter de chair et de sang, souffrant d'une forme ou l'autre de handicap mental, ou création de l'esprit de Lauren, incapable de faire face à la solitude à laquelle la mort de son compagnon l'a laissée. Nous ne le saurons jamais: chacune de ces hypothèses est aussi valable et convaincante que l'autre. Et peu importe au fond, car ce qui compte c'est l'inconfort où sa présence nous jette tout au long de notre lecture de "Body Art". Un inconfort auquel contribue aussi le mode même du récit, épousant le flux de la pensée de Lauren jusque dans ses coq-à-l'âne les plus saugrenus suivant la méthode du stream of consciousness chère à Virginia Woolf. Un flux où l'on ne s'installe jamais vraiment, où il y a toujours un petit quelque chose qui gratte, qui coince ou qui gène aux entournures, un élément pertubarteur comme ce cheveu inconnu que Lauren avait découvert dans sa bouche, appartenant à on-ne-sait-qui, venant d'on-ne-sait-où, le matin même de la mort de Rey.

Extrait:

"Son travail corporel rendait tout transparent. Elle voyait et pensait clairement, ce qui pouvait simplement signifier qu'il n'y avait pas grand-chose qui mérite d'être vu ou qu'on y pense. Mais peut-être que ça allait plus loin, les poses qu'elle prenait et tenait pendant des périodes prolongées, les exagérations tournoyantes, formes de serpent et courbures de fleur, les étirements suppliants de la respiration systématique, la vie vécue irréductiblement comme respiration pure. D'abord respirer, puis palpiter, puis haleter. Ça la rendait tendue avec les yeux en soucoupes et les artères dilatées dans le cou, ces heures de respiration tellement impérieuse et absurde qu'elle en émergeait à la fin dans une sorte de lumière originelle, ressentant ce qu'être en vie voulait dire." (pp. 59-60)

Don DeLillo était l'auteur des mois de février et mars 2011 sur Lecture/Ecriture.

D'autres livres de Don DeLillo, dans mon chapeau: "Les noms", "Valparaiso" et "Coeur-saignant-d'amour"

30 mars 2011

"Calmement poignant"

Paff1975407640"Le voyage à Tokyo" de Yasujiro Ozu,
avec Chishu Ryu, Chieko Higashiyama et Setsuko Hara

"Ozu, 1953, eight years after the japanese defeat. A slow, stately film that tells the simplest of stories, but executed with such elegance and depth of feeling that I had tears in my eyes at the end. Some films are as good as books, as good as the best books (yes, Katya, I'll grant you that), and this is one of them, no question about it, a work as subtle and moving as a Tolstoy novella."

Paul Auster, "Man in the Dark", Faber and Faber, 2008, pp. 73-74

Du "Voyage à Tokyo", généralement considéré comme le chef-d'oeuvre de Yasujiro Ozu - au grand dam de l'intéressé qui voyait dans ce succès le fruit d'un énorme malentendu -, Paul Auster n'a donc pas hésité à faire l'un des films préférés d'August Brill (héros de son roman "Seul dans le noir") et de sa petite-fille Katya: "une oeuvre aussi subtile et émouvante qu'un roman de Tolstoï". Et comme je comprends l'enthousiasme de ces êtres de papier pour ce film "calmement poignant" (pour reprendre l'avis d'un critique du Nouvel observateur, cité sur la pochette du DVD)!

Ancrant dans le quotidien le plus ordinaire et le plus répétitif une histoire tout simple - Un couple âgé quitte sa petite ville de province pour rendre visite à ses enfants installés à Tokyo, mais seule leur belle-fille Noriko, veuve de leur fils cadet mort à la guerre, se rend vraiment disponible pour eux -, Yasujiro Ozu déploie des trésors de pudeur et de délicatesse pour explorer les relations familiales dans le Japon de l'après-guerre où celles-ci subissent un profond bouleversement. Rien ne lui échappe des sentiments des parents ni des enfants, de leurs ambiguités, de leurs zones d'ombre ou de lumière. C'est véritablement poignant sans que jamais Ozu ne recoure à la moindre esbrouffe, au plus petit effet de manche ou astuce tire-larmes. C'est sans doute un chef-d'oeuvre, n'en déplaise à son auteur. Et cela reste son film le plus aimé, en dépit du passage du temps, car qui pourrait ne pas l'aimer?

 

29 mars 2011

"commentaire XL (homero manzi)"

comme ma bouche en ta saveur /
comme mon oeil dans ta vue / ma
chaleur de toit en toit / je cherche
ta saveur ta vue ta chaleur /

toi / ma faim / chevelure qui
brille dans la nuit / s'ouvre comme
le grand été de la lumière /
comme une oiselle faite de ciel /

illuminant rue après rue
le faubourg où passait mon âme
comme une âme si triste en toit /
écho / bijou de ton absence

Juan Gelman, "L'opération d'amour", Gallimard/Du monde entier, 2006, p. 73 (traduit de l'Espagnol par Jacques Ancet)

24 mars 2011

L'art de disparaître

"Le roi se meurt" d'Eugène Ionesco,
dans une mise en scène de Georges Werler, avec Michel Bouquet

Théâtre Royal de Namur, le 19 mars 2011

"Un jour que Michel Bouquet et moi lui rendions visite, Ionesco nous a affirmé qu'il ne savait pas si Bérenger mourait, mais avec un sourire malicieux et tendre, il a ajouté ce qui est sûr c'est qu'il disparaît. Oui Bérenger 1er disparaît et avec lui disparaissent un peu de nos inquiétudes, Ionesco nous fait rire de nous-mêmes, de nos angoisses, voire de nos terreurs."

Voilà ce que confie Georges Werler dans le texte de présentation de sa mise en scène du "Roi se meurt" d'Eugène Ionesco, et avec ces quelques mots, il nous livre l'essentiel de son approche de ce texte grinçant, drôle et tragique tout à la fois. L'essentiel aussi de la manière dont son interprète, Michel Bouquet, aborde le rôle de Bérenger 1er, en s'effaçant littéralement et insensiblement, sa voix se réduisant à un murmure dont on ne perdait pourtant pas une miette, tant le silence allait s'intensifiant à proportion dans la salle.

Que dire de plus? Sinon que c'était - vraiment - une très belle interprétation d'un texte magnifique...

Présentation du spectacle sur le site du Théâtre Royal de Namur.

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23 mars 2011

Au coeur du pays berbère

"Une enquête au pays" de Driss ChraïbiIMG
3 ½ étoiles

Editions du Seuil, 1981, 218 pages, isbn 2020058901

Maroc, juillet 1980. Deux policiers venus de la ville sont envoyés en mission dans les montagnes proches de la frontière algérienne, sous une chaleur écrasante, au coeur du pays berbère*. Le chef Mohammed et l'inspecteur Ali - le petit gros irascible et le grand maigre réduit au rôle de souffre-douleur, duo au réel potentiel comique égaré dans un livre qui au fond du fond n'est pas drôle – doivent y mener une enquête dont nous ne saurons en définitive pas grand chose, tant le chef s'efforce de garder secrète sa finalité. Tant, surtout, cette enquête n'est en fait qu'un prétexte visant à dresser l'état des lieux du Maroc de l'époque, et notamment des relations entre ses classes sociales, entre les nouveaux dirigeants - qui ont gravi les échelons des administrations alors que le pays recouvrait son indépendance - et leurs subordonnés. Des relations que l'inspecteur Ali, maltraité d'abondance par son supérieur, nous dépeint en catimini sans mâcher ses mots: "Ah! bien oui! Qu'est-ce que c'était ce chef? Propulsé vers le sommet au lendemain de l'Indépendance, parce qu'il avait fallu combler les trous à chaux et à sable et la plupart du temps en creusant d'autres trous, que pouvait bien connaître cet homme sinon le sentiment dramatique de sa propre importance? Comme tous les autres chefs dans nombre d'administrations, il n'en revenait pas depuis des années d'occuper de si hautes fonctions et de disposer du pouvoir, c'est-à-dire de la loi et de l'exécution de la loi. (...) Toute une pléthore de chefs composant un arbre de fer, un appareil rigide dans les deux sens: vertical et horizontal... «Ferme ta boîte à pensées, se dit l'inspecteur avec colère. Un de ces jours, tu les exprimeras à haute voix et alors, fils de ta mère... Et d'abord, ça t'avance à quoi, hein? Qu'est-ce que tu es, sinon une courroie de transmission? Un dominant et un dominé à la fois, le juste milieu, quoi!... Comme le doigt entre le clou et le marteau? On te tape sur la gueule et tu tapes sur celle des gars en dessous de toi... C'est ça, la police. C'est ça, ton travail, pauvre petit inspecteur. Allez, arrête de penser. Fais vite, le chef te regarde.»" (pp. 122-123)

Et surtout, "Une enquête au pays" dresse le constat de la résistance silencieuse du peuple berbère - occupant de ces terres d'Afrique du Nord depuis la plus haute antiquité, profondément ancré dans son sol - à toute nouvelle tentative d'acculturation, une résistance à laquelle le chef et son inspecteur se heurteront de plein fouet, se trouvant fort marris de leur impuissance. Sur ce fil conducteur ténu de l'enquête des deux policiers, et de la confrontation entre deux mondes que tout sépare, Driss Chraïbi déploie toutes les richesses d'une langue pleine de sève et de verdeur pour nous offrir ce qui apparaît finalement comme un pamphlet politique: un pamphlet certes poétique et puissant, mais un roman?

* ou plutôt le pays des Imazighen, pour leur rendre le nom dont ils se réclament.

Extrait:

"... Combien reste-t-il de l'ancien peuple? Nous ici, dans les villes, ton père, moi, les membres de la famille, nous ne pouvons que déguiser notre âme en attendant l'espoir, il ne faut pas qu'ils sachent que nous leur sommes opposés. Depuis des siècles, ceux qui comme nous n'ont pas eu la chance de fuir ont fait mine d'adopter leurs coutumes et leurs lois. Et de les aimer. Et ainsi les dieux et leurs serviteurs nous ont laissés à peu près en paix. Appauvris, démunis des biens de notre terre, mais en paix. Ils ne savent pas ce qui demeure en nous. S'ils s'en apercevaient, ils nous mettraient à mort – ou, pis encore, ils tueraient notre âme, comme ils l'ont déjà fait de nos aïeux. Alors nous faisons les idiots, nous nous comportons en sauvages, en êtres incultes et inférieurs pour les rassurer. C'est ce que nous avons de mieux à faire si nous voulons survivre. Certains d'entre nous arrivent avec le temps à oublier qui ils étaient. Ils sont contents de ce qu'ils sont devenus, c'est la vie... Mais des terriens, des vrais d'autrefois, combien en reste-t-il? Plus beaucoup, je crois bien. De petits groupes sur la montagne ou dans le désert, d'autres dans des forêts impénétrables. Ils n'ont jamais cessé de fuir à mesure qu'avançaient les conquérants et leurs légions de serviteurs. C'est ce que m'a raconté la mère qui le tenait de sa mère, et ainsi de suite de génération en génération en remontant les siècles." (p. 210)

20 mars 2011

Une scénographie éblouissante!

"Le Géant de Kaillass" de Peter Turrini,
par la compagnie Arsenic

Au Parc à Mitrailles de Court-St-Etienne, le 17 mars 2011

Du haut de ses deux mètres et cinquante-huit centimètres, le héros du nouveau spectacle de la compagnie Arsenic s'attire les foudres des habitants de son petit village de Kaillass qui le poussent finalement à partir à la découverte du vaste monde. De Prague à Paris, et de Londres à Berlin, le géant de Kaillass connaîtra la gloire, l'admiration des têtes couronnées, l'amour de la plus petite femme du monde mais aussi le déclin, la pauvreté et la maladie. En vingt tableaux servis par une scénographie éblouissante, un décor aux métamorphoses aussi poétiques qu'incessantes, ce nouveau spectacle retrace son parcours, tout en mêlant théâtre, musique, cirque et cabaret, des oripeaux de légèreté qui dissimulent mal ce que l'histoire du géant de Kaillass a en fait de très noir et très macabre. C'est certainement une expérience inédite à tenter, mais quoiqu'en disent les publicités, ce n'est pas tout à fait mon idée d'un spectacle familial, et pas seulement parce que l'inconfort des banquettes en bois ne vaudra rien aux rhumatismes de bon-papa...

Présentation du spectacle sur le site de l'Atelier Théâtre Jean Vilar

19 mars 2011

Comme un chien fou, un peu brusque, un peu joueur

“Poèmes sauvages” de Serge Delaive111_2
4 étoiles

Maelström éditions, 2007, 39 pages, isbn 9782930355764

Séduite par mes premières lectures de Serge Delaive – “Argentine” et “Le livre canoë” -, j’ai bien vite éprouvé l’envie de poursuivre mon exploration de son œuvre. J’ai donc emprunté à la bibliothèque ces “Poèmes sauvages” et découvert dans la foulée la collection “bookleg” des éditions Maelström: de tout petits livres destinés à capturer un instant, le temps d’une lecture ou d’une performance dans toute sa vivacité et sa spontanéité et que je ne crois pas avoir croisé auparavant – l’ironie du sort voulant que depuis ma lecture des “Poèmes sauvages” j’en rencontre à peu près partout, dans les bonnes librairies bien sûr, mais aussi dans certaine grande surface culturelle qui ne rentre sans doute pas vraiment dans la première catégorie…

Et vif, spontané, libre et ludique, tel est bien l’esprit qui préside à cette sélection d’une trentaine de poèmes où j’ai certes retrouvé certains des thèmes qui parcouraient comme un fil rouge “Le livre canoë” ou “Argentine”: la tentation de la fuite, de l’abandon (“Il est parti”, “Midi encore”…) ou les cicatrices d’une histoire familiale à tout le moins chargée (“Le psychologue”, “La moitié de mon sang”…), mais aussi les paysages grandioses d’une Amérique du Sud chère au cœur de l’auteur (“(c’est pas) Le Pérou”, “Voilà que ça recommence”). Mais aux côtés de ces textes d’une tonalité plus grave, les poèmes en manière de clin-d’œil que Serge Delaive dédie à ses compères-poètes – Karel Logist, William Cliff, Carl Norac, Jacques Izoard, ou encore Hésiode auquel l’auteur adresse d’amusants remerciements pour “les travaux et les jours” qui ont souvent animé ses nuits d’insomnie - imposent une complicité joueuse, un peu brusque, un peu tendre, ébouriffée presque toujours…

Extrait:

Il est parti

Tu n'es ni Hans Staden
Ni Cabeza de Vacca
Pourtant tu as accompli la traversée
Tu as renié tes serments de houle
Tu as combattu bec à bec
L'albatros qui t'a rogné les ailes
Puis tu étais salamandre
Parmi les congrégations immobiles
Tu as lancé des imprécations
Contre le ciel et ses courants
Et pour finir le ressac
T'a rejeté sur la plage vide
Mais tu es vivant
Tes récits ne goûtent plus le sel
A présent il te faudra choisir entre
Abjurer ou monter sur le trône incandescent
De ceux qui s'en vont
Pour ne pas revenir.
(p. 28)

17 mars 2011

"Instruire et émouvoir"

"Henry Bauchau, passeur de frontières"

Forum des halles de Louvain-la-Neuve,
jusqu'au 25 mars 2011

Le forum des halles de Louvain-la-Neuve (passage de la gare, derrièrelesbureaux d'Inforville) présente régulièrement de petites expositions. Et petite, celle qui y est consacrée en moment à l'écrivain Henry Bauchau l'est assurément. Elle est aussi très courte puisqu'elle refermera déjà ses portes le vendredi 25 mars. Mais elle est surtout si bien conçue, par les efforts conjugués de l'association hypothésarts et du fonds Henry Bauchau de l'Université catholique de Louvain, que sa visite, si brève soit-elle, est un vrai plaisir. Le plaisir de retrouver, au fil d'un parcours de son oeuvre(beaucoup) et de sa vie (un peu), un écrivain qui fut aussi enseignant et thérapeute, et dont les livres reflètent le lent cheminement vers une réconciliation de la science et de l'émotion. Les oeuvres graphiques d'Henry Bauchau, qui jouèrent leur rôle dans ce cheminement, ne sont bien sûr pas oubliées, et l'on (re)verra donc ici la silhouette stricte et droite du Grand Inquisiteur, entourée de créations de Lionel, qui fut le modèle d'Orion ("L'enfant bleu"). Et puis, comment résister à une exposition où les livres posés sur les présentoirs vous disent - réellement - "Lisez-moi"?

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Henry Bauchau, Le Grand Inquisiteur, Fonds Henry Bauchau, Louvain-la-Neuve (source: Henry Bauchau, "L'atelier spirituel", Actes Sud, 2008, p. 39)

Vous trouverez plusieurs billets consacrés à Henry Bauchau, dans mon chapeau: "Le régiment noir", "Diotime et les lions", "Déluge" et "La pierre sans chagrin"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

15 mars 2011

Amour et dépendance(s)

"La souveraine" de Nina Berberovauntitled
4 étoiles

Actes Sud/Babel, 1997, 131 pages, isbn 2742712844

(traduit du Russe par Cécile Térouanne)

Ce court roman, écrit en 1932 mais resté inédit jusqu'en 1997, nous immerge dans ce microcosme des émigrés russes chers au coeur de Nina Berberova, et plus précisément dans le logement de deux frères, Ivan et Sacha, auxquels la révolution de 1917 a tout fait perdre: leur père, mort d'une fluxion de poitrine au début des troubles, leur mère qui les a abandonnés pour se remarier avec un certain Mr Torn qu'elle a suivi à Pittsburgh, leur fortune et leur vie confortable. Désormais fixés à Paris, Ivan et Sacha y partagent une chambre si exiguë qu'ils ne peuvent s'y tenir tous les deux debout au même moment. Et Ivan travaille comme chauffeur de nuit pour payer les études de droit de son jeune frère.

Leur vie parfaitement réglée suit ainsi son cours sans surprise jusqu'au jour où Sacha tombe soudainement sous l'emprise de Léna Chilovski – la souveraine du titre -, soeur aînée de la fiancée de son meilleur ami. Jeune femme de vingt-quatre ans, au passé déjà trouble, Léna l'inquiète autant qu'elle le fascine. "Dieu seul sait quel genre de femme elle était, indépendante, détachée, fascinante, lointaine; que de souffrances avant de résoudre une telle énigme, de la forcer à vous écouter, à vous regarder en face. Elle restait sans parler ni bouger, mais il semblait qu'elle avait la maîtrise de la maison comme de la ville, comme du mond entier (..)" (p. 56) Récit d'une grande économie, "La souveraine" nous conte tout simplement l'évolution de l'état psychologique de Sacha, à partir de cette rencontre, et à mesure que sous l'influence de Léna et de son environnement luxueux, son regard sur sa vie et ses proches change radicalement, se teintant de dégoût, de lassitude et d'agacement. C'est simple, et par la magie de l'écriture de Nina Berberova, si ensorcelant qu'on ne peut s'en déprendre. Et qu'on en redemande sitôt tourné la dernière page.

Un autre livre de Nina Berberova, dans mon chapeau: "Le roseau révolté"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

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