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Dans mon chapeau...
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26 novembre 2011

Noir, corsé... Féroce!

"Toxic Blues (Jack Taylor, 2)" de Ken Bruen51cSNPl2tFL__SL500_AA300_
4 étoiles

Gallimard/Folio policier, 2008, 354 pages, isbn 9782070344482

(traduit de l’Anglais par Catherine Cheval et Marie Ploux)

"Après ma mise à pied, j’avais progressivement glissé dans la spirale de l’enfer éthylique. Et je m’étais installé à Galway, détective privé et foireux dont les enquêtes avaient causé plus de dégâts que les crimes qu’elles devaient résoudre." (p. 14) Ces quelques mots par lesquels Jack Taylor se présente à ses lecteurs au moment d’entamer sa deuxième enquête ne pourraient tomber plus juste: sa précédente aventure avait laissé pas mal de bleus et de cicatrices, et s’était refermée sur le départ de notre héros pour Londres où il espérait panser ses plaies et commencer une nouvelle vie. Autant dès lors annoncer la couleur d’entrée: les choses ne se sont pas passées comme prévu, et – après un mariage malheureux et une nouvelle amitié avec un policier londonien tout aussi paumé que lui – Jack Taylor ne va pas, mais alors pas bien du tout! Ce qui ne l’empêchera pas de se lancer dans une nouvelle enquête, foireuse en effet, et causant plus de dégâts qu’elle ne résoudra de problèmes: une enquête concernant les meurtres en série dont sont victimes des tinkers puisque tel est le surnom (injurieux ou presque) que l’on donne en Irlande aux gens du voyage, une enquête qui se trouvera réduite, une fois encore, à la portion congrue d’un timide fil conducteur.

Car c’est décidément le ton personnel de Ken Bruen – noir de noir, amer, d’un humour désespéré, et foncièrement féroce – qui fait la singularité et le charme des enquêtes de ce "détective privé et foireux", tout à la fois alcolo et toxico. Le ton, le regard en coulisse sous les revers de la société irlandaise – une société dont l’âme se mourait par petits bouts sous les coups d’un supposé miracle économique dans "Delirium tremens", une société dont les laissés-pour-compte reprennent ici le devant de la scène -, et l’immersion dans les livres où Jack Taylor trouve son dernier et unique refuge, lisant avec frénésie comme si sa vie en dépendait, ainsi que le lui avait prédit l’ami-bibliothéquaire de sa jeunesse, lisant avec une boulimie qui fait flèche de tout bois: Lawrence Block, Raymond Chandler, Chester Himes tout comme - ce qui est plus surprenant – l’autobiographie de Thomas Merton, moine trappiste américain et, si l’on en croit la fiche qui lui est consacrée sur wikipedia, l’un des auteurs spirituels catholiques les plus influents du XXème siècle. Voilà un plaisir de lecture dont je commence tout doucement à mesurer les effets addictifs ;-).

Extrait:

"L’enterrement était impressionnant, probablement le plus important que j’aie jamais vu. Et Dieu sait qu’en la matière je m’y connais. Il m’arrive même de me prendre, moi aussi, pour un vieux cimetière rempli de cercueils. Mais l’enterrement d’un tinker est quelque chose d’unique. Un défi à la rationalité. S’il est vrai que la vie ne vaut que par le moment où on la quitte, alors les tinkers marquent sur tous les fronts. Des expressions comme «le clou du spectacle», «le summum», «le nec plus ultra» restent très loin du compte. Primo, il faut savoir qu’ils ne regardent pas à la dépense. Deuxio, jamais vous n’assisterez à une telle manifestation de désespoir. On dit que les pleureuses arabes détiennent le record en matière de démonstrations publiques. Mais les femmes du voyage les battent de cent coudées. Ce n’est pas tant leurs vêtements qu’elles déchirent, c’est leur âme qu’elles lacèrent. Dylan Thomas y aurait vu l’incarnation de la rage contre la mort de la lumière qu’il a décrite dans son poème." (pp. 83-84)

Pour en savoir un - tout petit - peu plus au sujet des "travellers", on peut se plonger aussi dans le très bon recueil d'articles de Nuala O'Faolain: "Ce regard en arrière et autres écrits journalistiques"

Un autre livre de Ken Bruen, dans mon chapeau: "Delirium tremens (Jack Taylor, 1)"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

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18 novembre 2011

"Tes calmes mains sur toi"

Je jalouse ce soir le ventre de ta mère
Qui a pu te garder bien plus longtemps que moi.
Comme le paysan après son tour de terre,
Dors en paix, mon Gisant, tes calmes mains sur toi.

Demain je cacherai mes seins de pécheresse
Sous ma robe d'épouse en t'apportant le jour,
Et dans tes yeux de juste, oublieux des caresses,
Je reverrai l'ennui qui vient après l'amour.

Andrée Sodenkamp, "Femmes des longs matins", André De Rache, 1965, p. 17

17 novembre 2011

Des voix qui bruissent, bruissent, bruissent, jusqu'à la folie

"Tu écraseras le serpent" de Yachar Kemal51ZERJ24KGL__SL500_AA300_
4 étoiles

Gallimard/Folio, 2005, 151 pages, isbn 207039283x

(traduit du Turc par Munevver Andac)

Ma dernière tentative pour approcher l'oeuvre de Yachar Kemal m'a portée vers ce bref roman – 150 pages à peine au compteur – dans l'espoir, qui s'est d'ailleurs vérifié, d'y trouver un texte plus dense, plus resserré, qui me révélerait l'auteur de "L'herbe qui ne meurt pas" sous un meilleur jour. Le terrain, pourtant, reste familier. C'est à nouveau une histoire de vengeance: une vieille femme dont le fils a été tué par l'amant de son épouse n'est pas satisfaite par l'exécution du meurtrier, et se met en tête d'obtenir aussi la mort de sa bru, Esmé, manipulant pour ce faire le jeune Hassan, le fils unique de cette dernière. Et ça se passe toujours dans la plaine de la Tchoukourova où le Djeyhan scintille de tous ses reflets argentés tandis que les aigles tournent en rond, au-dessus des rochers de l'Anavarza – il faut croire qu'ils aiment vraiment ça ;-)!

Mais si "Tu écraseras le serpent" joue toujours volontiers de la répétition et du ressassement qui prenaient dans "L'herbe qui ne meurt pas" des proportions proprement insupportables, ceux-ci ont cette fois pour effet de scander et de rythmer un roman coloré et sensuel, qui bruit continuellement des voix des villageois prenant parti les uns pour la mort d'Esmé, les autres pour la vie de cette jeune femme trop belle que la mort de son mari a de surcroît rendue fort riche. Chacun y va à tout instant de son avis, de ses expériences, superstitions ou histoires de fantômes, certains n'hésitant du reste pas à changer de camp d'un jour sur l'autre. On observe ainsi – impuissant et fasciné – comment ces voix qui bruissent, bruissent, bruissent sans arrêt amènent petit à petit un gosse ordinaire, au fond, et sans doute un peu déboussolé, vers la folie et vers le drame. Et – vraiment - c'est plutôt réussi.

Extrait:

"Il termina son pain beurré dans le jardin aux grenadiers. Il se sentait le ventre bien plein. Il saisit son fusil, puis le remit à sa place. Des reflets bleuâtres s'allumèrent, s'éteignirent, flamboyèrent à nouveau dans la nacre de la crosse. Un long moment, il contempla l'arme, immobile, les mains à plat sur le sol à ses côtés, la tête légèrement penchée vers la droite. Le fusil étincela, s'éteignit à nouveau. Sa mère allait et venait dans la cour. Qu'elle était belle! On aurait dit une petite jeune fille. Par contre, son père était très vieux, il avait la barbe et les cheveux tout blancs. Il s'en souvenait très bien, de son père... Sa mère avait les cheveux très, très longs, ils lui descendaient à la taille. Tout le monde le disait, sa mère était la plus belle femme de la Tchoukourova, la plus belle femme du monde peut-être. De tous les coins de la plaine, des gars venaient lui proposer le mariage. Mais sa mère éconduisait tous ses soupirants. Elle ne voulait pas se séparer de son fils unique. Car si jamais elle partait pour se marier, Hassan, lui, devrait rester au village. Ses oncles ne confieraient jamais Hassan à sa mère. Alors, elle ne se remariait pas, pour ne pas le quitter. Si elle se mariait et s'en allait vivre dans un autre village, elle ne reverrait plus Hassan, jamais plus." (pp. 13-14)

D'autres livres de Yachar Kemal, dans mon chapeau: "La légende du Mont Ararat" et "L'herbe qui ne meurt pas (Au-delà de la montagne, tome 3)"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture où Yachar Kemal était l'auteur des mois d'avril et mai 2011

13 novembre 2011

Ni avec toi, ni sans toi

"Le répit" d’Hélène Lenoir416DW9MB3XL__SL500_AA300_
4 étoiles

Les éditions de minuit, 2003, 126 pages, isbn 2707318159 
 
Un répit. Deux semaines de tranquillité. C’est ce temps pendant lequel son épouse Véra séjourne chez leur fils Ludo, marié et installé en Finlande, que le narrateur du roman d’Hélène Lenoir pensait mettre à profit pour réaliser quelques travaux dans leur maison. Mais Véra a été victime d’un malaise. Des examens ont permis de déceler un problème cardiaque. Et Ludo paniqué de sommer son père – son père qui souffre d’une véritable phobie des voyages – de se précipiter à Helsinki, à l’hôpital, au chevet de son épouse qu’il ne peut en fait pas plus supporter qu’il ne peut se passer d’elle. Et réciproquement.

Tout au long des deux interminables journées du périple qui conduit son héros, en train via Paris, Liège et Hambourg, vers Helsinki, Hélène Lenoir nous livre la radioscopie de trente années d’une vie conjugale orageuse. Trente années de griefs, de reproches et de frustrations derrière les apparences impeccables – et auxquelles Véra attachait une telle importance - que ce couple, incapable pourtant de se séparer, a toujours présenté au monde extérieur: des apparences qui ont leur part sans doute dans la décision du narrateur de s’embarquer dans ce voyage dont l’idée seule le révulsait. Et tout au long de cette immersion dans l’ambigüité des sentiments de son héros, où la rancoeur se mêle à la lassitude, à l’inertie, sans doute aussi à la peur du changement et à un besoin qui ne dit pas son nom, on ne peut qu’admirer la maîtrise déployée par l'auteur, l’acuité de son regard et l’élégance de sa plume qui ne nous épargnent rien des tempêtes de la vie conjugale de Véra et de son époux tout en évitant de sombrer dans un grand déballage sordide. Maîtrise, vraiment, est le mot-clé pour décrire la réussite incontestable de ce beau roman, tendu et amer comme un café très serré.

Extrait:

"S’il prend le train et le bateau, en espérant qu’il acceptera au moins de prendre le ferry, mais tel que je le connais, il essaiera de suivre le plus possible la voie de terre, ces phobies qu’il a, c’est très ancien, c’est pour ça qu’il n’est jamais venu nous voir, pas moyen de le faire bouger, même pour notre mariage... Ma mère en a beaucoup souffert et puis elle a fini par le prendre au mot parce qu’il lui répétait qu’elle n’avait qu’à s’en aller sans lui, qu’il serait content au contraire qu’elle s’arrête de se croire obligée de lui sacrifier ses désirs de voyage, de lui faire constamment des reproches ou d’accumuler les ruses, plusieurs fois par an, elle ne pouvait pas s’en empêcher, l’aguichant, minauderies, caresses, si tu m’aimes vraiment, juste pour une fois, pour notre anniversaire de mariage, ce serait mon plus beau cadeau... Et toutes ces simagrées sous prétexte qu’ils étaient mariés et que c’était normal de faire ces choses-là en couple, sortir, partir, en couple, dehors, se montrer ensemble, c’était très important pour Véra, alors que dedans, ce qui se passait dedans... et ce bien avant qu’elle ne se mette à voyager, à sortir sans lui et sans gêne, sans arrière-pensée, se rendant vite compte qu’elle profitait cent fois plus de ces moments passés avec d’autres depuis qu’il ne l’accompagnait plus, grincheux, taciturne, bâillant ou regardant impoliment sa montre... mais à cette époque-là, refuser de se rendre à une invitation avec Véra déclenchait des drames, des scènes étalées sur plusieurs jours, à cette époque-là il ne supportait pas les châtiments qu’elle lui infligeait et notamment l’abandon du lit conjugal pendant presque un mois une fois." (pp. 9-10)

10 novembre 2011

Mais qu'est-ce donc à la fin que l'engagement?

18688592_jpg-r_160_240-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-20061114_015523"La faute à Fidel!" de Julie Gavras,
avec Nina Kervel-Bey, Julie Depardieu et Stefano Accorsi

Les cartons du déménagement vidés, il est - enfin - temps de revenir aux affaires sérieuses ;-), les livres bien rangés dans leurs rayonnages, internet reconnecté et la télévision rebranchée. Et c'est la télévision, tout justement, qui m'avait offert mercredi dernier cette fort jolie surprise...

Paris, début des années 1970. Lorsque ses parents décident de s'engager plus avant politiquement - pour plus de justice sociale, notamment au Chili où ils ont longuement séjourné, et en France, pour le droit à l'avortement -, Anna voit sa vie bouleversée de fond en comble. Adieu la belle maison, et adieu Pilar, la fidèle bonne cubaine et anti-castriste convaincue. Anna doit désormais partager la chambre de son petit frère dans un (tout) petit appartement où les nounous défilent, plus exotiques les unes que les autres...

Avec ce premier long-métrage qu'elle a sans doute nourri de ses propres souvenirs d'enfance - des années où son père tournait au Mexique son film-charge contre le soutien américain au coup d'état d'Augusto Pinochet, "Missing" -, Julie Gavras nous offre une oeuvre aux allures de ritournelle, tout à la fois triste et drôle, grave et légère, d'une légèreté qui n'entame en rien la réelle consistance ni l'intelligence du propos. Les moues boudeuses de Nina Kervel-Bey (Anna) sont irrésistibles. Du haut de ses neuf ans, sa logique est imparable. Et son esprit critique affuté ne laisse rien passer des limites ni des nécessités de l'engagement de ses parents. Un engagement - pas tout à fait le même, mais pas tout à fait un autre - qui deviendra aussi un peu le sien par la vertu d'une très humaine solidarité...

 

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