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Dans mon chapeau...
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7 juillet 2011

Pourquoi la vie des uns...?

"Les insurrections singulières" de Jeanne Benameur411%2BQ1zP%2BqL__SL500_AA300_
4 étoiles

Actes Sud, 2011, 204 pages, isbn 9782742795307

A l’entame des "Insurrections singulières", on ne peut se défendre du sentiment que, si ce titre n’avait pas été déjà pris, Jeanne Benameur aurait pu tout aussi bien intituler son roman "Les taiseux". Ouvrier dans un grand groupe sidérurgique sur le point de délocaliser certaines de ces activités de la France vers le Brésil – il n’est jamais nommé, mais l’on reconnaît sans peine Arcelor-Mittal -, Antoine n’a en effet rien d’un bavard. A plus d’un égard, il a marché sur les traces de son père, tout aussi avare de mots, et qui fut lui aussi ouvrier, Antoine précisant d’ailleurs: "Lui, il a été un ouvrier, un vrai.
Moi, j'ai fait l'ouvrier, c'est différent. Même si l'usine est la même." (p. 18). Car c’est bien la voix d’Antoine, ce sont ses phrases brèves, hésitantes et précautionneuses, les mots qu’il semble ne jamais manipuler qu’avec prudence qui font tout le prix et toute la singularité de ce beau roman qui se refuse par là-même à n’être qu’un livre de plus inspiré par le monde du travail comme il ne tourne décidément plus très rond dans notre coin du monde.

C’est la voix d’Antoine, que ses maladresses et ses hésitations ne rendent que plus vraie et plus touchante, qui nous porte et nous entraîne à ses côtés alors que quittant son travail, jetant l’éponge devant une activité désormais privée de sens, il se met en chemin, poussé un peu par une rupture amoureuse, et beaucoup par sa rencontre avec Marcel, libraire spécialisé dans les livres anciens, les éditions rares et les récits de voyage, dispensateur de beauté et plus encore accoucheur d’âmes, au sens où Socrate avait pu l’être: "Il laissait en suspens ses pensées, comme si rien, jamais, n'était définitif. Et ça me convenait aussi. J'avais la sensation de penser vraiment, pas juste de chercher la bonne étiquette à coller dessus pour s'en débarasser, de la pensée." (p. 94) Et ce chemin emmènera Antoine bien loin, jusqu’au Brésil, et à la ville de Monlevade où son ex-employeur vient de s’implanter, une ville baptisée – par quelle ironie!, et c'est Marcel qui le lui fera découvrir - en l’honneur d’un ingénieur français, Jean de Monlevade, qui y avait émigré au XIXème siècle pour fonder ce qui devait devenir la sidérurgie brésilienne.

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(source)

Ainsi porté par la voix d’Antoine, par ses mots précautionneux, "Les insurrections singulières" déploient des interrogations qui dépassent largement le seul cadre économique, tout en restant à hauteur d’homme: les traces des générations précédentes, la transmission d’un savoir, d’une culture, d’un héritage, la notion-même de travail qui n’est pas – quoiqu’on en dise aujourd’hui – qu’une question de salaire à gagner, la passion, l’enthousiasme, le rêve, l’audace et le risque: "Pourquoi la vie des uns ne pourrait-elle pas éclairer celle des autres? Sinon c'est quoi une société. Je veux que la vie des ouvriers brésiliens éclaire quelque chose pour moi. C'est quoi le travail pour eux? Je veux apprendre ça. Je veux aussi que la vie de Jean de Monlevade éclaire quelque chose pour moi. C'est quoi, oser? C'est quoi, Partir? Tout quitter?" (p. 100)

Extrait:

"... la question du travail, elle n'est pas nouvelle, Antoine, elle est là bien avant celle du profit capitaliste. Il faut quand même bien se questionner sur la racine même du travail. Pourquoi les hommes ont-ils tant besoin de travailler, hein? Pourquoi l'oisiveté est-elle montrée du doigt comme la mère de tous les vices depuis toujours? Tout ça, ça ne date pas d'aujourd'hui! Avant de s'en prendre au monde des affaires, il faudrait essayer de comprendre l'affairement des êtres humains. L'affairement. Si tu le réduis juste à une histoire de patrons et d'ouvriers, tu passes à côté de quelque chose de bien plus intéressant encore." (pp. 120-121)

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