"Choses qui font battre le coeur..."
"Sans soleil", suivi de "La jetée" de Chris Marker
Je dois bien avouer, à ma grande honte, que je ne connaissais pas du tout Chris Marker avant de découvrir son nom dans le programme du dernier festival Ecran total. Et pourtant, ce cinéaste né en 1921, actif depuis plus d'un demi-siècle, a tout pour être connu des cinéphiles: assistant d'Alain Resnais sur le tournage de "Nuit et brouillard", écrivain et photographe, il est aussi de plein droit l'auteur d'une filmographie abondante où l'on compte autant de portraits - d'Akira Kurosawa ou d'Andrei Tarkovski - que de documentaires très engagés - traitant de la réception de l'art africain en France, "Les statues meurent aussi", co-réalisé en 1953 avec Alain Resnais, fut censuré pendant plusieurs années à cause de son caractère anti-colonialiste bien affirmé.
Court-métrage de science-fiction, tourné en 1962, "La jetée", qui était proposé à l'Arenberg en deuxième partie de programme, est sans doute son oeuvre la plus connue fut-ce par le biais des films qu'elle a marqués de son empreinte, tels "L'armée des douze singes" de Terry Gilliam. Mais c'est avant tout un film qui ne ressemble à rien d'autre. Plutôt qu'un film, c'est d'ailleurs un roman-photo, constitué d'une série d'images fixes montées à la suite les unes des autres, où les personnages sont joués - mais pas vraiment - par des acteurs qui n'en sont pas et parmi lesquels on reconnaîtra notamment Jacques Ledoux, fondateur du musée du cinéma de Bruxelles et conservateur de la cinématèque royale de Belgique pendant près de 40 ans... Cette forme totalement insolite et originale se trouvant mise au service d'un scénario tout simplement parfait, il est bien difficile de trouver les mots pour dire à quel point les 28 minutes de "La jetée" troublent et fascinent tout à la fois le spectateur qui se trouve embarqué dans leurs voyages temporels.
Etrange essai cinématographique réalisé vingt ans plus tard, "Sans soleil", qui était proposé pour sa part en ouverture de programme, se révèle au fond tout aussi inclassable. Journal de voyage prenant la forme - lancinante, incantatoire - d'une fausse correspondance, journal de voyage où le Japon, ses rituels shintoistes et ses jeux vidéos, se taillent la part du lion, "Sans soleil" s'en va bientôt à la dérive, hésitant entre réalité et fiction, questionnant jusqu'au sens même de ces deux termes, en même temps que la vulnérabilité humaine et la force des souvenirs. Dévidant le fil de ses instants de vie, de ses images tirées des actualités et de ses fêtes de quartier, "Sans soleil" est un film si mouvant - jamais là où on l'attend - qu'il échappe à son spectateur à mesure même qu'il se déroule devant ses yeux. Un objet cinématographique non identifié, donc, dont on retiendra pourtant au terme d'une première vision qu'il est, par sa longue énumération de "choses qui font battre le coeur", sans contestation possible le plus bel hommage - le plus juste et le plus touchant - que le septième art ait jamais rendu aux merveilleuses "Notes de chevet" de Sei Shônagon.
Pour en savoir plus, on peut consulter les fiches consacrées à Chris Marker sur wikipedia ou sur le site de la cinémathèque française.