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Dans mon chapeau...
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3 août 2009

Sans date de péremption !

"Imaginary homelands (Essays and criticisms 1981-91)" de Salman Rushdiex569
4 ½ étoiles

Granta books/Penguin books, 1992, 439 pages, isbn 0140140360

L’inconvénient des recueils d’articles, conférences, essais et critiques – genre auquel se rattachent ces "Patries imaginaires" - est qu’ils mêlent le plus souvent à des textes qui n’ont rien perdu de leur intérêt d’autres écrits qui, étant étroitement liés aux circonstances de leur rédaction (contexte politique ou économique…), ne parlent plus guère au lecteur que le temps et/ou l’espace éloignent par trop de ces circonstances. Même les meilleurs auteurs – tel Vincenzo Consolo, et la compilation de ses articles paru sous le titre "De l’autre côté du phare" - ne sont pas épargnés par ce problème. Mais autant dire d’entrée que "Patries imaginaires" fait figure d’heureuse exception à cette règle. Rien, ou presque, n’est à jeter dans ce gros volume rassemblant pas moins de 70 articles publiés entre 1981 et 1991, et traitant pêle-mêle de littérature, de cinéma ou de politique.

Salman Rushdie s’y révèle un critique littéraire aussi passionné que passionnant, franc dans ses enthousiasmes (les articles qu’il consacre à Italo Calvino ou à Raymond Carver vous donnerait bien envie de vous (re)plonger dans leurs livres séance tenante!), comme dans ses détestations, et croyez-moi, il a vraiment détesté "Le pendule de Foucault" d’Umberto Eco qu’il qualifie de "humourless, devoid of characterization, entirely free of anything resembling a credible spoken word, and mind-numbingly full of gobbledygook of all sorts. Reader: I hated it. (NDFC: Au vu de ce qui précède, on avait compris…)" (p. 270) Et que l’on partage ou non ses avis, la rigueur de son argumentation et l’exigence de la réflexion qu’il poursuit au sujet de la littérature se révèlent des plus enrichissantes, d’autant qu’elles sont servies par une grande finesse d’analyse dont sa critique d’"Une saison ardente" de Richard Ford fournit un bel exemple. Tout l’art du romancier américain y est capturé en une seule phrase, tellement juste: “‘In the end, not very much happened’ is a typical Ford sentence, but the not very much that happens is so well observed, felt and described that Ford effortlessly pulls off the trick of making us think that the lives he shows us mean a great deal, while also making making us remember that they don’t really mean much at all." (p. 338)

Quant aux articles consacrés à l’une ou l’autre question politique ou sociale – ou aux critiques de cinéma qui ne sont ici jamais fort éloignées de la politique, qu’elles traitent de "Brazil" de Terry Gilliam ou de l’adaptation par David Lean du roman "A passage to India" d’E.M. Forster, film dont Salman Rushdie dénonce avec une sévérité implacable ce qu’il qualifie de révisionnisme vis-à-vis de la période coloniale -, ils résistent étonnament bien au passage du temps. En partie grâce à la clairvoyance de l’auteur, dont les intuitions touchant à l’évolution politique en Inde ou au Pakistan se sont souvent – et sans doute malheureusement - vues confirmées par la suite des événements. Mais surtout parce que les lecteurs des "Enfants de Minuit" ou des "Versets sataniques" y reconnaîtront sous un autre éclairage des matériaux qui ont véritablement nourri ces deux romans : des souvenirs d’enfance de l’auteur à Bombay dans les années qui ont immédiatement suivi l’accession de l’Inde à l’indépendance, à la lutte pour garantir aux immigrés fraîchement arrivés au Royaume-Uni un logement décent, plutôt que de les parquer dans des B&B insalubres (question qui constituait un thème secondaire des "Versets sataniques", et qui est ici traitée en détails dans l’article intitulé "An unimportant fire"). Dans certains cas, le traitement journalistique de ces sujets dans "Patries imaginaires" m’a même paru, de façon peut-être paradoxale, plus vivant et émouvant que leur traitement romanesque. Et c’est dire que Salman Rushdie l’essayiste gagne vraiment à être connu !

Extrait:

"A few years ago I revisited Bombay, which is my lost city, after an absence of something like half my life. (…) Then I went to visit the house in the photograph and stood outside it, neither daring nor wishing to announce myself to its new owners. (I didn’t want to see how they’d ruined the interior.) I was overwhelmed. The photograph had naturally been taken in black and white; and my memory, feeding on such images as this, had begun to see my childhood in the same way, monochromatically. The colours of my history had seeped out of my mind’s eye; now my other two eyes were assaulted by colours, by the vividness of the red tiles, the yellow-edged green of cactus-leaves, the brilliance of bougainvillaea-creeper. It is probably not too romantic to say that that was when my novel Midnight’s Children was really born; when I realized how much I wanted to restore the past to myself, not in the faded greys of old family snapshots, but whole, in Cinemascope and glorious Technicolor.” (pp. 9-10)

31QKZHY6Z3L__SL160_AA115_En V.F: “Patries imaginaires”,
traduit de l’Anglais par Aline Chatelain
Christian Bourgois, 1993, 459 pages, isbn 9782267010909

Un autre livre de Salman Rushdie, dans mon chapeau: "Les versets sataniques"

Salman Rushdie était l'auteur des mois de juin et juillet 2009 sur Lecture/Ecriture.

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Commentaires
D
Je n'ai pas participé à la lecture de Rushdie car c'est un auteur avec lequel je n'accroche pas du tout<br /> je partage ta réflexion sur les recueils de ce type et Rushdie fait là exception à la règle<br /> J'ai comme toi lu Consolo et j'étais étonnée par les critiques dithyrambique alors que moi une bonne partie des textes ne me parlaient pas <br /> Seuls les grands écrivains tiennent avec le temps : Sainte Beuve, Mauriac et d'autres bien sûr
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